Une histoire de chamallows grillés
Petite, elle adorait les
colonies de vacances. Tout un nouveau monde à explorer, rempli de
nouvelles activités, dans des coins de la France où elle n'était jamais allée.
Malade en bus, les trajets
étaient toujours une souffrance, et sa timidité maladive
l’empêchait de facilement connecter avec d’autres enfants, mais
petit à petit, et avec l’aide des moniteurs, elle s’ouvrait aux
autres, et créait ainsi des amitiés indéfectibles, des copains
pour la vie, du moins le temps de quelques semaines, puisqu’à
chaque fin de colo, on se promettait de s’écrire, on se pleurait
dans les bras, puis finalement, on s’oubliait très très vite.
En colo, elle avait appris : à
monter à cheval, ou plutôt, à dos de poney, à faire du tir à
l’arc, du kayak, du macramé, des masques en plâtre, et puis des
choses un peu plus terrifiantes comme l’escalade (elle avait
découvert qu’elle avait le vertige), de la spéléologie (et elle
était claustrophobe aussi), et embrasser des garçons (le genre de
truc qui vous faisait dire “beurk” la première fois, mais
finalement elle y revenait).
Mais ce qu’elle préférait
par dessus tout, c’était le camping. Partir, pour une ou deux
nuits, de la colo, avec son petit sac sur le dos, en rang deux par
deux derrière les monos, et aller dormir sous la tente dans un pré
voisin. Ces nuits-là étaient magiques, exceptionnelles. Joël, le
moniteur sexy sur lesquelles toutes les “grandes” craquaient,
allumait un feu de camp, et sortait sa guitare, et on chantait :
“Les jolies colonies de
vacances. Merci maman merci papa”
“Il s’appelait Stewbold,
c’était un cheval blanc. Il était mon idole, et moi j’avais 20
ans.”
“Ecoutez cette histoire,
que l’on m’a racontée, du fond de ma mémoire, je vais vous la
chanter.”
“Hisse et Ho, Santiano”
“C’est un endroit qui
ressemble à la Louisiane, à l’Italie”
Et des heures durant, même au
coeur de la nuit, on chantait des chansons, on racontait des
histoires à se faire peur avec une lampe torche, on riait, on était
bien.
Ces moments magiques sont liés
pour elle à une saveur particulière : celle des chamallows grillés.
Le goût des chamallows
grillés, c’est quelque chose d’incroyable, qu’elle n’oubliera
jamais. Ce petit goût brûlé, un peu caramel autour, et la guimauve
encore fondante à l’intérieur… Un délice de fin gourmet !
Et c’était tout un art, de
faire griller son chamallow : pas assez, et c’était simplement de
la guimauve molle et chaude, trop et le goût de brûlé l’emportait.
Non, faire griller des chamallows, c’était délicat, ça demandait
de la patience, de l’attention, de la dextérité, de la passion.
Ils en faisaient des concours
de dégustation : qui faisait le meilleur chamallow grillé ?
Et elle gagnait bien souvent,
fascinée par les flammes autour du carré moelleux, maintenu par une
pique en bois qu’il ne fallait pas lâcher.
Aujourd’hui encore, elle sent
sur sa langue le goût des chamallows grillés, le goût de son
enfance, et de ses extraordinaires aventures en colonies de vacances.
Le chamallow grillé, c’est sa madeleine de Proust, et elle n’a
pas besoin d’en sentir effectivement le parfum pour se replonger
des années en arrière, dans ces petits moments de bonheur des nuits
de feux de camp, en colonies de vacances, quand elle avait tout juste
10 ans.
Un jour où elle a le moral
dans les chaussettes, elle pense si fort aux chamallows grillés de
son enfance qu’elle se dit que c’était peut-être ce qu’il lui
fallait, sentir une nouvelle fois ce goût sur sa langue, retrouver
cette saveur réconfortante, qui agissait sur son moral comme un
doudou.
En ferme adepte du fait-maison,
elle décide de se lancer après quelques recherches sur Internet.
Finalement, elle opte pour une recette intitulée “La guimauve de notre enfance”, qui lui semble appropriée.
La recette :
Finalement, elle opte pour une recette intitulée “La guimauve de notre enfance”, qui lui semble appropriée.
La recette :
- 100 g de fécule de pommes de
terre
- 4 feuilles de gélatine
- 25 g de sirop de glucose
- 3 cuillères à soupe de
sirop de fraise
- 250 g de sucre en poudre
- 2 blancs d’oeufs
- 7,5 cl d’eau
- colorant rouge (facultatif)
Matériel : un thermomètre de
cuisson à 200°C
Aïe. Ça commence mal. À part
le sucre, les oeufs et l’eau, elle n’a rien de tout ça dans ses
placards. Un tour au supermarché s’impose. Ni une ni deux, elle
attrape ses clefs de voiture dans le grand bol dans l’entrée - le
fameux “bol à bordel”, qui a plus l’apparence d’un saladier
ou d’une coupelle à fruits que d’un bol - et part dans son
bolide faire quelques courses.
Deux heures plus tard - elle a
beaucoup erré, et a dû finalement faire un arrêt dans la boutique
spécialisée en articles de cuisine de la galerie marchande - la
voilà prête, enfin, à se lancer.
Elle reprend sa recette et lit
les conseils donnés :
“Astuce : sortez les blancs
du réfrigérateur suffisamment à l’avance pour qu’il soit à la
température de la pièce.”
C’est rageant. Si elle avait
lu le tout avant de se précipiter, elle aurait sorti ses oeufs avant
de partir faire les courses. Encore un peu de temps perdu pour rien.
Bon, cette fois-ci, elle va lire la recette en entier avant de se
lancer.
“Autre astuce : si vous
passez le sirop de glucose quelques secondes au four à micro-ondes
pour le fluidifier, il sera plus facile à peser.”
Bon, ça, c’est facile. Les
étapes de la recette, maintenant :
“1. Faites ramollir les
feuilles de gélatine dans l’eau froide et faites-les fondre au
bain-marie. Montez les blancs d’oeufs en neige avec 10g de sucre
en poudre.
2. Versez l’eau, le reste du
sucre et le sirop de glucose dans une casserole, et faites cuire sur
le feu. Lorsque le sucre atteint une température de 130°C,
versez-le progressivement sur les blancs en neige et continuez de
mélanger. Ajoutez la gélatine fondue, le sirop de fraise et 2-3
gouttes de colorant rouge (facultatif), et mélangez doucement de
nouveau 3-4 minutes.
3. Saupoudrez largement une
plaque à pâtisserie de la moitié de la fécule de pommes de terre
et versez dessus la guimauve. Etalez à l’aide d’une spatule et
recouvrez du reste de la fécule.
4. Laissez refroidir
complètement (2 à 3 heures) et coupez des bandes ou des carrés à
l’aide d’un grand couteau. Roulez dans la fécule de pommes de
terre et réservez dans un endroit frais et sec.”
Il est temps de se lancer.
L’impatience la guette, et elle a cru pleurer de rage en lisant que
le temps de repos était de 2 à 3 heures. Elle n’allait pas
pouvoir déguster ses chamallows grillés tout de suite, et c’était
un peu frustrant.
Elle rassemble le matériel,
effectue ses pesées et, parfaitement concentrée sur la recette, la
suit à la lettre, son index parcourant chaque ligne religieusement.
Hors de question de se rater, c’est bien trop important, les
chamallows grillés.
Finalement, il est temps de les
laisser reposer. Elle en a déjà l’eau à la bouche, rien que de
s’imaginer, plus tard, dégustant ses friandises maison,
retrouvant, elle l’espère, le parfum de son enfance.
Trois heures à attendre, c’est
une torture, et la voilà qui tourne en rond dans sa maison. Elle
arrose les plantes, va déloger le chat de sur le lit à grands coups
de caresses non-sollicitées, passe à la salle de bain se couper un
ongle qu’elle sent se fragiliser, envisage un instant de prendre un
bain, fait demi-tour, retourne dans la cuisine, ouvre le
réfrigérateur, le referme sans rien y prendre, part s’asseoir
dans le salon, allume la télé, recherche un programme intéressant,
n’en trouve pas, éteint la télé, s’emparer de son téléphone,
fait défiler ses réseaux sociaux, ferme et ouvre frénétiquement
des applis sans rien à y faire, puisque tout ce qu’elle veut,
réellement, là, maintenant, c’est déguster des chamallows
grillés.
Et soudain, elle réalise :
mais comment faire griller ses chamallows ? Hors de question
d’allumer un feu de camp dans son jardin, et elle n’a pas de
cheminée. Un chalumeau de cuisine ? Parfaite idée !… Sauf qu’elle
n’en a pas. Elle se flagelle de ne pas y avoir pensé plus tôt,
elle aurait pu en acheter un tout à l’heure. Décidément, son
impatience lui joue des tours, elle est bien trop désorganisée, il
faut qu’elle respire un grand coup. Puis, enfin, l’illumination :
certes, elle ne peut pas allumer de feu de camp, mais elle peut faire
un barbecue ! Il lui reste du charbon des soirées grillades de cet
été, quelques morceaux de journaux pour aider, et des allumettes
longues pour faire la flamme.
Elle se réjouit à l’avance,
et se précipite dans son jardin pour allumer son barbecue,
enthousiaste à l’idée que ça se rapproche d’un feu de camp,
recréant presque à l’identique son expérience d’enfance. Il ne
manquerait plus qu’un gratouilleur de guitare, et elle aurait à
nouveau 10 ans.
Toute à son charbon, ses
braises et ses flammes, elle ne voit pas le temps passer, et enfin,
la minuterie qu’elle avait mise en marche sur mon téléphone sonne
: les chamallows sont prêts !
Elle fouille ses tiroirs,
fébrile, et rassemble quelques piques à brochette propres, qu’elle
avait inconsciemment mis de côté pour une telle occasion. Elle y
enfile quelques petits dés moelleux, qui ont l’air tendres à
souhait. Bien sûr, elle ne résiste pas à l’envie d’en goûter
un ou deux, juste comme ça, pour vérifier si la saveur, la texture,
le souvenir sont présents. Elle frissonne de plaisir, ils sont
fondants, élastiques, avec cette fine couche râpeuse créée par la
fécule de pomme de terre.
Quel régal cela va être
lorsqu’ils seront grillés. Elle rassemble ses précieux trésors
sur un plateau, et file dans son jardin pour découvrir que - malheur
! - une pluie torrentielle s’est soudain abattue sur son jardin.
Elle n’a pas pensé un instant à abriter son barbecue, et le voilà
fichu !
Elle pleure de rage, son
plateau de chamallows embrochés à la main. Elle qui voulait tant
déguster ses chamallows grillés !
Elle rentre dans sa cuisine, et
les dévore de rage. Tout le plateau y passe. Quel beau gâchis en
vérité !
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