La Loreleï
La Loreleï est une créature de légende qui tire son nom d’un rocher du Rhin, le rocher de la Lorelei, que l’on pourrait traduire par “rocher de l’écho”.
C’est d’un poète romantique allemand de la fin du XIXème siècle que nous tenons son histoire.
La Loreleï était une sirène qui apparaissait parfois, brossant ses longs cheveux d’or assise sur son rocher, chantant pour attirer les marins, dont les bateaux venaient se fracasser sur les rochers, les conduisant à une mort certaine.
Une sirène de la même trempe que celles de l’Odyssée d’Homère, qui envoûtaient les marins de leurs chants, qui dépérissaient d’amour, ne songeant même plus à boire ou à manger. Ulysse se fera même attacher au mât de son navire pour être sûr de ne pas tenter de les rejoindre.
On est loin de l’imaginaire de la Petite Sirène d’Andersen ou de Disney.
Ce soir, j’ai envie de me réapproprier l’histoire de la Loreleï. Laissez-moi vous la conter.
Loreleï était la plus jeune des filles du fleuve Rhin. De longues années de sécheresse avaient malmené le fleuve, qui menaçait de se tarir. Déjà, les bords de rives apparaissaient, les petits cours d’eau alentours avaient été aspirés, et le beau fleuve perdait de sa puissance.
Le Rhin dépérissait, et il fallait vite le repeupler, pour le faire grandir à nouveau.
Alors, régulièrement, il envoyait ses filles à la surface, sur un rocher qu, autrefois était immergé, mais se retrouvait désormais apparent. Là, les nuits sans lune, elles chantaient, attirant les marins, les pêcheurs, et les entraînaient ensuite par le fond, où ils mourraient pour renaître ensuite tritons, et repeupler le fleuve.
C’est ainsi qu’une à une, les filles du Rhin avaient pris époux, toutes sauf l’une, la plus jeune, Loreleï.
Loreleï ne voulait pas se marier. Elle voulait rester libre, et rêvait de nager jusqu’à l’océan, pour découvrir son immensité. Elle prenait soin de ne jamais chanter à la surface, et se contenter de s’asseoir sur son rocher, démêlant ses longs cheveux blonds, qui faisaient sa fierté.
Elle aimait être là, seule, perdue dans ses pensées, et venait régulièrement, même les nuits où la lune brillait. Ses sœurs l’avaient avertie : son imprudence lui faisait courir un grand danger, car aucun humain ne devait jamais la voir, sous peine qu’elle soit chassée.
Mais Loreleï n’en avait cure. Après tout, même s’ils étaient devenus tritons, ses beaux-frères étaient humains dans leur vie d’avant, et ils aimaient ses sœurs tendrement.
Alors elle continuait à se prélasser sur son rocher, silencieuse, peignant sa chevelure dorée.
Une nuit de tempête, son père entra dans une colère noire. Elle devait impérativement respecter leurs traditions et se marier. Il était temps qu’elle remonte à la surface et qu’elle chante. Vu le temps, la lune ne se lèverait pas. Il cria et gronda, et de guerre lasse, elle prit la direction du rocher.
Il faisait atrocement froid hors de l’eau, et sa précieuse chevelure flottait autour de sa tête en mèches entortillées, qui lui faisaient une couronne de serpents blonds prêts à mordre.
Elle prit une profonde inspiration et commença à chanter. Le vent transportait sa voix sur le fleuve et bien au delà. Quel inconscient se serait aventuré sur les eaux par ce temps-là ?
Et quand bien même, elle restait déterminée à ne pas se marier. Bien sûr, la survie du fleuve et de sa famille lui importait, mais il lui semblait que c’était un bien trop grand sacrifice. Mais rapidement, elle aperçut une embarcation sur les eaux déchaînées. Elle était à la dérive, et semblait abandonnée. Curieuse, elle interrompit son chant pour plonger, et nagea jusqu’à la coque.
Un homme était à bord, allongé à plat ventre, flottant dans un fond d’eau. Elle tendit la main pour lui toucher l’épaule, et ses doigts rencontrèrent un liquide sombre et visqueux : du sang. Elle pensa que c’était bien sa veine, d’attirer un être humain déjà mort, et pensa un instant l’abandonner là. Elle était épuisée d’avoir chanté toute la nuit. Elle s’apprêta à plonger au fond du fleuve, lorsque quelque chose l’arrêta.
La tempête s’était levée sans qu’elle s’en aperçoive, et la lune déjà perçait derrière les nuages. Un de ses rayons avait frappé l’embarcation, révélant à la ceinture de l’homme un petit poignard orné de pierres précieuses, étincelant. Elle réunit ses dernières forces pour tirer le frêle esquif jusqu’au rocher, puis de là, en extirpa le mort pour le glisser à côté d’elle sur la pierre glacée.
C’est alors qu’elle eut la surprise de sentir un battement. Il était faible, certes, mais existait, quelque part dans la poitrine de cet homme. Il avait dans le cou une plaie béante, d’où s’écoulait encore un peu de sang. Elle ne put résister à l’envie d’y poser ses lèvres et de goûter ce liquide poisseux et légèrement salé. Était-ce le goût de l’océan ?
Fascinée, elle écarta les mèches trempées de son visage, dévoilant ses traits ciselés et ses yeux clos, bordés d’une longue frange de cils bruns, qu’elle effleura du bout du doigt.
Elle sentait le corps de l’inconnu se réchauffer sous ses doigts, mais il ne respirait toujours pas, et les battements de son cœur étaient encore si faibles.
La lune était pleine et parfaitement visible désormais. Elle s’allongea tout contre le torse de l’inconnu, et chantonna doucement, ses longs cheveux blonds répandus sur sa poitrine comme une couverture.
Lorsqu’elle ouvrit les yeux, les premiers rayons du soleil pointaient déjà à l’horizon. Paniquée, elle se redressa vivement, et plongea dans l’eau désormais calme du fleuve. Son père devait avoir passé la nuit à guetter son retour. Jetant un dernier regard en arrière, elle aperçut l’inconnu qui ouvrait les yeux et toussait, vidant de ses poumons l’eau qui avait failli l’étouffer.
Elle s’empressa de plonger plus profondément pour se dissimuler à son regard. Au fond du fleuve, ses sœurs l’attendaient. Elles étaient mortes d’angoisse. Où était-elle donc passée toute cette nuit ? Elle n’avait pas trouvé d’époux, alors pourquoi souriait-elle ainsi ?
Loreleï esquiva leurs questions, et s’enfuit plus loin, à l’abri des regards. Là, enfin seule, elle extirpa le poignard de l’inconnu, qu’elle avait emporté et dissimulé dans sa luxuriante chevelure. Elle en caressa chacune des pierres précieuses, fascinée par leur douceur. Mais au fond du fleuve, elles avaient perdu leur éclat, cette brillance qui l’avait attirée.
Alors la nuit suivante, elle remonta à la surface, pour admirer l’éclat du poignard à la lumière de la lune. Et elle se mit à chanter, perchée sur son rocher. Quelque chose la troublait : lorsqu’il avait ouvert les yeux ce matin-là, Loreleï avait distinctement aperçu leur couleur malgré le trouble de l’eau. C’était celle des émeraudes du poignard.
Elle chanta toute la nuit, un chant non pas destiné à égarer les marins, mais une douce mélopée, pour apaiser son âme tourmentée. Elle finit par s’endormir là, sur son rocher, le poignard dans son étui, serré par ses mains contre son cœur.
Lorsqu’elle rouvrit les yeux, l’aube pointait le bout de son nez, et un bruissement sur la rive l’alerta. Elle se redressa brusquement, prête à plonger, avant de l'entendre :
“S’il te plaît, non, ne bouge pas !”
Bien sûr, Loreleï ne parlait pas le langage humain, elle ne comprit donc pas les mots, mais le son de la voix la figea sur place.
C’était lui. L’homme aux yeux d’émeraude, le noyé qu’elle avait trouvé la veille, et à qui elle avait volé le poignard. Il était bien vivant, mais semblait encore faible, la pâleur de sa peau contrastant avec le rouge écarlate du sang qui avait imprégné sa chemise.
“C’est toi, n’est-ce pas ? C’est toi qui m’a sauvé ?”
Loreleï le regardait, comme paralysée. Elle sentait confusément qu’il ne lui voulait aucun mal, mais elle se rappelait de la loi de son père : les sirènes ne pouvaient pas être vues des hommes, sous peine d’être bannies du fleuve.
Sans plus réfléchir, elle plongea, et nagea jusqu’au fin fond du fleuve. Si elle ne disait rien, ce serait son secret. Personne n’en saurait rien, et elle ne serait pas chassée. Elle ne remonterait plus jamais à la surface, et voilà.
Ce soir-là, lorsque son père insista pour qu’elle aille chanter sur le rocher, elle refusa catégoriquement. Il tempêta, rugit, gronda, mais rien n’y faisait. Elle n’irait pas. Ivre de rage, il se jeta sur elle, bien décidé à la traîner à la surface de gré ou de force. Lorsqu’elle tenta de se soustraire à son emprise, le poignard dissimula dans ses cheveux s’échappa. L’espace d’un instant, tout se figea. Loreleï savait : c’était trop tard, le mal était fait.
La colère de son père retomba en une fraction de seconde, se transformant en un immense chagrin. Qu’avait-elle fait ? Il s’éloigna d’elle et prononça la terrible sentence : Loreleï était bannie à jamais du fleuve.
Le poignard à la main, elle se dirigea vers la surface. Elle entendait derrière elle les lamentations de ses sœurs, et leur peine alourdit son cœur. Une fois à l’air libre, elle tourna le dos à son rocher, et nagea jusqu’à la rive, là où ce matin encore, l’étranger l’avait hélée.
Il n’était plus là. Elle s’installa au bord de l’eau, et se mit à pleurer. Toute la nuit, elle pleura, grelottant de froid, et ne s’endormit d’épuisement qu’au petit matin.
Lorsqu’elle s’éveilla enfin, son corps avait changé. Ses écailles dorées avaient disparu, laissant place à une peau lisse et rose pâle qui semblait si fragile. Sa queue, elle, s’était transformée en deux cannes qui semblaient bien trop frêle pour la supporter.
Elle resta assise encore longtemps à pleurer sur son sort, en silence. Puis, dans un dernier geste désespéré, elle attrapa le poignard, et coupa à grands gestes rageurs sa longue chevelure blonde. Les mèches s’envolaient de ses doigts, flottant un moment au vent avant de s’écouler sur le fleuve, comme un dernier adieu.
C’est ainsi que la nuit venue, il la trouva. Il avait erré un peu dans les bois, mais était revenu pour elle. L’étranger la prit dans ses bras.
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