lundi 6 septembre 2021

[Défi Marathon - Semaine 7] Texte co-écrit avec Solen

 Texte de la semaine 7 du Défi Marathon de Vicky Saint-Ange, coécrit avec Solen K, à retrouver sur Twitter ou sur AO3. On s'est beaucoup amusé.e.s à faire des allers-retours sur ce texte ! 2781 mots


Les chats : nos meilleurs compagnons ou en route pour la domination ?


Ulysse referma le journal avec agacement. Pourquoi fallait-il toujours que des articles idiots fassent leur apparition dans les mauvais jours ? Ne pouvait-on plus prendre son petit-déjeuner en paix, en sirotant un café beaucoup trop sucré qui finirait par s’avérer écoeurant, à moins que ce que soient les nouvelles d’un monde à feu et à sang qui ne lui retournaient l’estomac ?

En tout cas, il était encore préférable de lire des horreurs que des imbécilités, à son humble avis. Sa queue fouetta l’air un instant, lui faisant froncer les sourcils. Voilà qu’il perdait à nouveau le contrôle ! Il s’efforça de reprendre la maîtrise de ses émotions, enroulant le long appendice autour de ses pieds. Il lui fallait mettre de côté toutes ces pensées parasites et se concentrer : il y avait fort à faire aujourd’hui ! 

À pas feutrés, il traversa en silence le salon, s’arrêtant un instant devant la fenêtre pour profiter des premiers rayons du soleil qui pointaient, réchauffant doucement les carreaux. C’était son heure préférée, quand le calme régnait encore dans la maisonnée, quand les rues commençaient juste à s’animer, quand il avait, pour encore quelque minutes, la paix.

On frappa à la porte. Ulysse soupira puis alla ouvrir à la chatte noire qui attendait de l’autre côté de la porte, la queue agitée.

- Bonjour Circé. Tu es matinale.

La chatte entra rapidement, sans commenter sur les idiosyncraties trop humaines d’Ulysse à son goût. L’heure était grave. Circé ne manquait jamais de lancer une pique bien sentie, pas même la fois où leur repère avait été presque découvert.

- Ulysse, j’ai besoin de tes talents immédiatement. Pistache a été capturée.

- Quoi ? Mais je croyais qu’elle était très bien intégrée à son foyer

- Elle a été blessée gravement pendant un combat avec un chien. L’humaine qu’elle surveille l’a emmenée chez le vétérinaire. Il a fallu lui amputer une patte, donc elle a été anesthésiée. Kira, notre informateur sur place, m’a rapporté que Pistache a très mal supporté l’anesthésie et a utilisé des mots humains. Le vétérinaire l’a gardé pour observation a-t-il prétendu.

- Il faut intervenir immédiatement, tu as raison d’être venue me voir.

- Tu ne sais pas tout. Le vétérinaire a placé une caméra qui enregistre 24h sur 24. Je ne pense pas qu’il l’ait partagée, mais il y a peut-être une copie dans le cloud.

- Quelle catastrophe. Je prends ça en main.

- Est-ce que tu as besoin d’une équipe ou tu préfères être seul ?

Ulysse pesa un moment la question. 

- Je pense qu’il est plus prudent que je sois seul. Si nous sommes sur le point d’être découverts, nous risquerions d’attirer un peu trop l’attention en groupe. 

La moustache de Circé frémit, mais Ulysse refusa d’interpréter le signe. La situation était urgente, pas de temps à perdre avec les états d’âme et opinions de la chatte noire. Finalement, elle leva sa patte droite pour la porter à ses babines et la lécher abondamment avant de s’en frotter l’oreille, donnant toute l’apparence de la nonchalance. 

- Très bien. C’est toi le chef. Tu sais où me trouver si tu changes d’avis. 

Sur ces entrefaites, elle se redressa en s’étirant de toute sa longueur et repartit vers la porte, sa queue en point d’interrogation dressée derrière elle. 

Ulysse s’accorda une dernière lampée de café, avant d’entamer sa préparation. Première étape, contacter Kira pour qu’il lui donne l’accès à la clinique vétérinaire. Repérer Pistache, et l’extraire rapidement, en faisant en sorte que ça passe pour une évasion accidentelle. Elle ne pourrait pas retourner dans sa famille, trop dangereux. Il soupira. Combien de fois leur avait-il répété, à tous et toutes, de ne pas se frotter aux chiens ? Ces grosses bêtes étaient trop imprévisibles : soit elles tentaient de vous croquer sur le champ, soit elles vous inondaient de leur bave malodorante au cours d’une toilette grossière et écoeurante. Pouah !

La clinique était à l’autre bout de la ville. Y aller par la rue ou les toits prendrait une bonne heure. Ulysse décida de recourir à son moyen de déplacement préféré : le bus. Les premières fois, Circé lui était tombée dessus en lui reprochant de mettre en danger leur couverture. Mais la seule conséquence avait été des vidéos sur YouTube où les humains trouvaient ce comportement adorable. La chatte noire s’était trouvée à court d’arguments.

Vingt minutes plus tard, Ulysse sauta sur le rebord de la fenêtre du bureau de la clinique. Un chat calico était en train de jouer avec sa queue sur le bureau et faisait tomber des piles de feuilles au sol sans y prêter attention. Il cessa aussitôt son comportement puéril lorsqu’il entendit Ulysse toquer et vint ouvrir la fenêtre.

- Salut vieux, c’est toi que la cheffe envoie ?

Ulysse sentit son poil se hérisser d’indignation mais se força à rester calme. Il avait besoin de l’aide de ce jeune malappris de Kira. La leçon de politesse attendrait un moment plus opportun.

- Circé m’a fait part de la situation. Où se trouvent Pistache et l’enregistrement vidéo ?

- La minette est dans la pièce avec les autres animaux, derrière la porte en bois au fond. Fais gaffe, il y a deux chiens aussi et ils sont super bruyants, je les supporte pas. L’ordi, c’est celui-ci, il y en a qu’un.

- Bien, ça me simplifie la tâche. Les humains ne sont pas là ?

- Nope, je suis solo pour le moment. Le véto arrive vers 8h30, dans une heure quoi. Il va toujours voir les animaux en premier. Franchement je le trouve coole !

La méfiance envers les êtres humains s’apprenait à la dure. Celui-là était encore un jeunot bien vert.

Ulysse se concentra pour ne pas hausser les épaules. Ses mimiques humaines n’étaient pas toujours appréciées, et autant Circé et lui se connaissaient suffisamment bien désormais pour que leurs désaccords n’entâchent pas leur respect mutuel, autant il n’avait vraiment pas la patience aujourd’hui de se compliquer la vie pour des détails. 

Il sauta du rebord de la fenêtre dans la pièce, couverte par un tapis moelleux. L’endroit sentait le bois ciré, une vague odeur de désinfectant qui s’échappait de derrière la porte, et… le whisky ? Ulysse aurait voulu voir de plus près ce fameux vétérinaire. Il décida d’ignorer ses sens, se concentrant sur sa mission. Il s’avança vers la porte, se retournant une dernière fois vers Kira, qui avait repris place sur le bureau et poursuivait avec indifférence son travail de sape, envoyant au sol tout ce qui se trouvait à sa portée. 

- Est-ce que tu serais capable de détruire l’enregistrement vidéo pendant que je libère Pistache ?

Une lueur verte s’alluma dans le regard du jeune chat. 

- Je peux faire mieux que ça, vieux. 

Il sauta précipitamment à bas du bureau, et disparut derrière un meuble. Avec un dernier soupir, Ulysse poussa la porte, se faufilant dans le couloir. 

Des néons blancs éclairaient d’une lumière crue des murs peints en bleu et recouverts de panneaux de liège où étaient punaisés des affiches sur le bien-être animal. L’odeur aseptisée était plus forte ici, et lui brûla le museau. Ulysse maudit un instant son odorat surdéveloppé. La plupart des chats étaient attirés par l’odeur de Javel, mais lui détestait fermement ce parfum écœurant qui lui donnait envie de fuir. Il rasa les murs, ignorant tout ce qui l’entourait. Il n’avait qu’une heure, et comptait bien être parti d’ici avant la fin du compte à rebours mental qu’il avait enclenché. Plus tôt il aurait trouvé la minette, plus vite il la mettrait en sécurité. 

Soudain, l’avertissement de Kira se rappela brutalement à lui quand un grondement sourd se fit entendre dans son dos. Les chiens ! 

Ulysse ravala un juron, et se retourna lentement. Un corgi progressait lentement vers lui, les babines retroussées. Il était seul. Pour le moment. Ulysse évalua rapidement ses chances puis fonça le long du couloir en direction de la porte. Il sauta pour attraper la poignée, priant la déesse féline que le vétérinaire n’ait pas fermé à clé, sinon la situation allait empirer brutalement. La porte s’ouvrit.

Le chat ne prit pas le temps de détailler l’agencement de la salle et sauta sur la table sur la gauche. Le corgi entra sur ses talons, dérapa sur le carrelage puis se dressa de toute sa hauteur et se mit à aboyer, frustré de ne pas pouvoir suivre le chat à cause de ses pattes trop courtes pour sauter aussi haut. D’autres chiens qui jusque-là dormaient tranquillement dans leur cage se joignirent à lui. La situation devenait dangereuse.

Ulysse regarda rapidement autour de lui. Un stéthoscope avait été oublié juste à côté de lui. Il le balaya d’un coup de tête, visant le corgi qui le reçut sur la tête. Ce dernier se tut un instant, secoua la tête puis reprit son manège. Il fallait trouver plus efficace. Qu’est-ce qu’il y avait d’autre ? Des ciseaux. Non. Des gants. Non. Des friandises. Non. Un bocal en verre rempli de croquettes. Bingo.

Ulysse le poussa méthodiquement jusqu’au bord et le fit tomber pile sur la tête du corgi qui poussa un gémissement et s’affala sur le sol, assommé. Le bocal tomba sur le sol et se brisa, répandant les croquettes. Les chiens en cage se mirent à gober celles qui étaient tombées à portée. C’était une couverture parfaite pour expliquer pourquoi le vétérinaire retrouverait le corgi assommé en arrivant.

- Eh vieux, tout va bien ? J’ai entendu du bruit.

La horde de chiens surexcités se retourna d’un même mouvement en direction de Kira, dont la petite tête avait fait son apparition à la porte. Le jeune chat fit un pas en arrière, les yeux écarquillés de terreur.

- Oh m...

Les  bêtes se ruèrent sur le pauvre Kira, qui feula de surprise avant de détaler sans demander son reste, la meute à ses trousses dans un concert d’aboiements assourdissants. 

Ulysse ferma les yeux, s’exhortant au calme. ll espérait que Kira parviendrait à échapper aux chiens hurlants, mais avait un problème plus important à considérer. Le temps filait, et chaque minute qui passait diminuait ses chances de faire évader Pistache. 

Il sauta à bas de la table, s’arrêtant un instant pour vérifier que le corgi respirait toujours. S’il y avait bien une race de chiens à laquelle il ne souhaitait pas de mal, c’était les corgis, même si celui-ci avait été suffisamment pénible comme cela. 

Il sortit de la pièce, non sans vérifier de part et d’autre de la porte que le champ était libre. Maintenant, aux cages ! 

Il se faufila tout au bout du couloir, poussa une ultime porte battante et s’arrêta net. 

Des dizaines de cages étaient alignées dans la pièce, certaines carrément empilées, et autant de paires d’yeux qui se fixèrent sur lui. Des miaulements plaintifs s’élevèrent de plusieurs cages, alors que d’autres créatures le regardaient simplement avec curiosité. Il s’avança lentement, son coeur tambourinant à ses oreilles. 

- Pistache ?, murmura-t-il. Pistache, où es-tu ?

Un gros matou roux à qui il manquait un œil glissa une patte entre les barreaux de fer pour attirer son attention. 

- Tu cherches la petite chatte écaille-de-tortue à qui ils ont coupé la patte ? Elle n’est pas ici. 

- Comment ça ? Mais elle est où, alors ?

- Dans une autre salle, derrière une porte blindée. Le véto se doute de quelque chose, il l’a déplacée avant de partir ce soir. Je voulais protester, mais je me suis dit que ça allait attirer encore plus l’attention. 

Ulysse le jaugea du regard. Il était grand et massif, l’air coriace d’un chat qui en a trop vu dans une vie. 

- Comment tu t’appelles ? 

- Hector. Et si tu ouvres ma cage, je t’aiderai à secourir la gamine. La pauvre était complètement dans le gaz, j’ai peur qu’il lui arrive malheur. 

Ulysse hocha la tête et se dressa sur ses deux pattes arrière pour crocheter la serrure qui tenait Hector prisonnier d’une griffe experte. Le verrou céda, et la porte s’ouvrit. Le gros chat roux était libre.

- Je connais le code de la porte, j’ai vu le véto le composer.

Pour la première fois depuis qu’Ulysse était sur l’affaire, quelque chose se déroula correctement. La porte s'ouvrit sans bruit et révéla Pistache endormie dans une cage bien moins sécurisée que la pièce qui la contenait. Il ne fallut qu’un moment aux deux briscards pour libérer la petite chatte. Elle entrouvrit les yeux en entendant la cage s’ouvrir.

- Qu’est-ce que… ?

- Pistache, je suis Ulysse, Circé m’envoie pour t’extraire d’ici et te ramener à la base. Est-ce que tu es en état de marcher ?

- Je… je crois.

Elle se leva lentement et faillit perdre l’équilibre quand elle voulut s’appuyer sur la patte avant qu’on lui avait enlevée.

- J’avais oublié…

- Je vais t’aider.

Hector vint se placer contre son flanc et soutint Pistache, qui fit deux pas hésitants.

- Tu peux sauter ? s’enquit Ulysse.

- J’ai encore mes pattes arrière, ça devrait aller si je prends mon temps.

- On va faire comme ça. Il faut juste que tu sortes de la clinique.

Les deux matous encadrèrent Pistache qui réussit à traverser jusqu’à la fenêtre tant bien que mal. Ils ne virent pas Kira, pas même lorsqu’il fallut traverser le bureau. Une fois cachés dans un buisson à l’abri des regards, Ulysse se détendit. Un peu seulement : il ne restait que quinze minutes et il fallait encore qu’il s’assure qu’il ne restait plus rien de l’enregistrement.

- Il faut que j’y retourne. Restez là, je vous rejoindrai.

- Un instant, grommela Hector.

- Quoi ?

- Tu fais partie d’une de ces organisations de félins ?

- Oui, moi et Pistache. Pourquoi ?

- Mon propriétaire est une ordure et je n’ai pas la moindre envie de retourner chez lui. La rue j’ai déjà connu, j’en ai de mauvais souvenirs. Alors je me dis que vous rejoindre, ça me changerait.

Ulysse hocha la tête rapidement, intimant aux deux autres félins de rester à couvert le temps qu’il revienne, puis fila en direction de la fenêtre du bureau. Il sauta avec aisance sur le rebord, mais avant qu’il ait eu le temps de se glisser dans la pièce, une boule de poils en furie lui sauta dessus, le faisant retomber à l’extérieur. 

Il se redressa, furieux, sa queue fouettant l’air, et regarda autour de lui pour comprendre d’où était venu l’assaut. Kira était à côté de lui, le poil tout hérissé, vibrant d’impatience. 

- Bouge, vieux ! Il est temps de prendre les voiles, et fissa !

Et il détala sans demander son reste. Ulysse prit une grande inspiration, puis courut à sa suite. 

- Kira, attends ! Est-ce que tu as supprimé l’enregistrement ? J’ai besoin d’être sûr ! 

Mais Kira poursuivait sa fuite, lançant à Hector et Pistache qui attendait l’ordre de le suivre au plus vite. Pistache regarda le grand chat roux avec un air implorant. Jamais elle ne s’en sortirait avec sa patte en moins. Son nouvel ami la regarda un instant, évaluant sa petite taille. Elle ne devait peser guère plus qu’un chaton et, avec toute la délicatesse du monde, il prit la peau de sa nuque entre ses mâchoires. La pauvre Pistache couina un instant puis, acceptant son sort, s’efforça de se faire toute petite. Hector se mit enfin en route, galopant sur ses solides pattes pour rattraper Kira, alors qu’Ulysse fermait la marche, laissant échapper un flot de jurons. 

Quand Kira s’arrêta enfin, à plusieurs kilomètres de là, Ulysse lui sauta dessus, le mettant à terre. 

- Mec ? Pourquoi tu fais ça ?

- J’ai besoin de réponses. Qu’as-tu fais de l’enregistrement ? Est-ce que notre couverture est sauve ? Tu ne feras pas un pas de plus avant de m’avoir répondu. 

Le jeune chat se dégagea lentement, s’asseyant sur son arrière-train pour lécher sa patte avant. 

- Qu’est-ce que crois ? Je suis un pro. Non seulement l’enregistrement a disparu, mais je me suis assuré qu’aucune copie ne restait. J’ai grillé les serveurs, et bousillé le système de fermeture électronique des cages à risque. Ce devait être le chaos dans la clinique quand le véto est arrivé, et ça va prendre la journée entière au personnel pour remettre de l’ordre. D’ici là, la fugue d’Hector et de Pistache sera le cadet de leur souci. 

Ulysse resta coi, tandis que Kira soutenait calmement son regard.

Un long sifflement les sortit de leur bataille d’égo, et ils tournèrent la tête vers Hector, qui les observait d’un œil impressionné. 

- Ça rigole pas, les gars, votre organisation. Mais maintenant, on fait quoi ? La petite commence à fatiguer, et moi aussi pour être honnête....

Ulysse s’étira de tout son long, pour repousser au loin le trop-plein d’adrénaline. 

- Maintenant ? On part retrouver Circé. Elle donnera à Pistache une nouvelle identité, et une vie au calme. Toi, tu vas intégrer notre programme de formation. Et on va reprendre notre existence avant la prochaine mission. Kira ? Ouvre la marche. 

Le jeune félin dévoila un croc dans un semblant de sourire. 

- Ok, boss. En route ! 


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