Encore un texte pas spécialement relu. C'était le jour 6 du NaNoWriMo. Suite de "Porte-Bonheur"
Ce n'est jamais aussi simple
Monday avait tenté de rassurer tant bien que mal Ellie. Le Dr Richardson était tout simplement très peu habitué à la présence humaine, encore moins à l'intimité physique. Après tout, son meilleur ami était une création désincarnée : difficile d'obtenir un câlin d'une intelligence artificielle.
Ellie se sentit rassurée de n'avoir pas fait de faux pas, mais décida avec détermination de tout faire en son pouvoir pour que Nolan se sente plus à l'aise avec elle.
Ces pensées la ramenèrent vers l'équipage du Terpsychore, sa famille depuis tant d'années, et elle soupira lourdement : elle avait besoin d'un nouveau thé.
Se dirigeant d'un pas lourd vers la cuisine, elle songea à Aurora et à leur amitié, au caractère bien trempé de la jeune femme.
Elles s'étaient rencontrées il y a plus de dix ans, fraîches émoulues de l'Académie, persuadées que la Patrouille intergalactique était une carrière fascinante. Elles se voyaient déjà enquêter sur des mystères entre planètes, pourchasser des ennemis aliens, et rentrer à la maison auréolées de gloire.
Pour autant qu'Ellie était toute en angles secs, mouvements raides et os saillants, Aurora était ondulante et moelleuse. «Je suis grosse, Ellie ! Dis-le ! », la haranguait-elle régulièrement. Elle n'avait pas honte de son corps - il n'y en avait pas à en avoir - et se plaisait à tourmenter ceux qui semblaient avoir un souci avec cela. Lorsqu'elles avaient rencontré Tergan, c'est à dire le premier jour de leur assignation à bord du Terpsychore, donc il était déjà lui-même capitaine depuis plusieurs années, il avait eu le malheur de faire une simple remarque, dont il avait longtemps payé le prix.
En effet, lorsqu'Aurora avait posé un pied sur son vaisseau, le Capitaine lui avait jeté un coup d'œil, et prononcé cette terrible phrase : «Vous devez être la cuisinière. Vos quartiers sont par là. »
Aurora avait viré une impressionnante couleur pivoine, et enfonçant son index à répétition dans la poitrine de Tergan, avait procédé à sa correction, sa voix hurlante alertant l'intégralité de l'équipage qui s'était ramené sur le point pour voir le capitaine se faire engueuler par un petit bout de femme.
Il avait présenté ses excuses, piteux, et son second avait plus tard avoué à Ellie qu'il n'avait jamais vu son boss dans un tel état. Généralement, il était du genre à procéder au règlement des conflits à coups de pied dans les fesses, et sa voix de stentor résonnait régulièrement dans les couloirs du navire à la moindre incartade des membres de sa patrouille.
Après réflexion, Ellie se disait que c'était aussi à ce moment-là que Tergan était tombé irrémédiablement amoureux.
Sa propre relation avec le capitaine avait été beaucoup plus simple. Ils s'étaient tout d'abord cordialement ignorés : elle faisait partie de l'équipe de nuit, sous la direction du second de bord, et n'avait que peu ou pas d'interactions avec le capitaine. Elle était également discrète, bien qu'efficace, et préférait passer son temps libre dans la cabine qu'elle partageait avec 4 autres personnes, apprenant par cœur le manuel de bord du Terpsychore et s'efforçant de rafraîchir ses connaissances scientifiques. A l'Académie, ils avaient suivi un cursus sur la biodata et les relevés de terrain qu'ils devraient faire, et elle savait qu'elle était techniquement plus scientifique qu'inspectrice, mais, bien que ce ne soit pas la partie du métier qui la fasse le plus rêver, elle était déterminée à être la meilleure dans son domaine.
Ainsi, les premiers mois de sa vie à bord du Terpsychore s'étaient révélés calmes, se déroulant dans une solitude toute relative en dehors des moments qu'elle partageait avec Aurora. Aurora avait choisi à l'Académie une formation de navigatrice, et passait donc la majeure partie de son temps en salle de contrôle. Willis, le vieil homme qui gérait la barre quand elles avaient embarqué, en était à sa dernière mission, et Aurora avait pour ambition d'être nommée à sa succession le plus vite possible. Elle avait fait très vite ses preuves, et bien que certaines voix aient tenté de crier au favoritisme suite à sa prise de poste, Tergan avait rapidement su les faire taire, ainsi qu'Aurora elle-même, qui tenait d'une poigne ferme les rênes de la salle de contrôle. Avec douceur mais fermeté, elle avait réorganisé les postes après le départ de Willis, et la navigation en était plus efficace que jamais.
Ellie avait été un peu jalouse de son amie : celle-ci avait moins de temps à lui accorder, et s'était insérée dans le rythme du vaisseau avec une facilité déconcertante que peinait à reproduire la jeune femme.
Elle avait commencé à essayer de discuter avec certains des patrouilleurs parmi les plus sympathiques, mais le métier restant majoritairement masculin, et relativement sexiste, et certains de ses collègues la regardaient encore de travers, tandis que certaines des autres femmes à bord semblaient préférer l'ignorer, probablement soulagées que l'hostilité se soit déplacée vers elle.
Finalement, au bout de nombreux mois, elle avait eu l'occasion de faire ses preuves quand un des réacteurs d'une sonde de prélèvement était tombé en panne lors d'une mission en extérieur. Aucun des ingénieurs présents avec elle sur Bêta-666-Nano n'avait de connaissances matérielles, et très vite un vent de panique s'était disséminé au sein de l'équipe. S'ils ne parvenaient pas à réparer rapidement, il faudrait abandonner la sonde, et tout le travail fourni avec elle, pour être à temps au prochain point de contrôle.
Ellie avait toujours eu du mal à comprendre pourquoi on ne pouvait pas simplement alerter d'un retard dû à un incident, mais c'était la loi : tout retard au Point de Contrôle entraînait de facto une saisie par le Tribunal Intergalactique, et beaucoup d'ennuis derrière. Alors la jeune femme avait retroussé ses manches - métaphoriquement, bien sûr, mieux valait garder sa combinaison en place sur une étoile sans air respirable -, et avait ouvert la carcasse du robot, identifiant rapidement la panne, due à un fil déconnecté, et avait effectué une réparation de fortune dans les temps, qui avait permis au Terpsychore de reprendre rapidement la route sans perdre les prélèvements effectués.
A partir de ce moment-là, les hommes et les femmes de l'équipage avaient mis leurs préjugés de côté, apprenant à connaître et à apprécier la jeune femme, qui s'était ainsi dégoté une nouvelle famille.
Ses pensées retournèrent à Nolan : comment est-ce qu'un homme seul, même avec la présence d'une IA aussi sensible, intelligente et attachante que Monday, pouvait ne pas se sentir seul et malheureux sur un aussi grand bâtiment que le Thésée.
Elle posa la question à Monday, un bras glissé sous sa tête, lorsque la nuit fut venue et qu'elle fut bien au chaud dans le confort de ses draps.
«Ce n'est pas simple, répondit la création.
— ça ne l'est jamais, rétorqua-t-elle. Mais je voudrais comprendre. »
L'être — impossible pour Ellie de penser à lui en terme de "machine" — resta silencieux un moment avant de répondre, comme s'il pesait ses mots.
«Boss a grandi a bord du Thésée. Son père était le Capitaine du vaisseau, comme son père avant lui, son grand-père avant cela, etc. Une longue lignée de capitaines de patrouille, et le boss n'a jamais eu d'autre choix que de prendre la relève : c'était sa destinée, décidée bien avant sa naissance. Mais M. Edward - le père de Nolan - n'était pas vraiment ce que l'on peut appeler un homme bien. Bien sûr, il était craint par son équipage autant qu'il était respecté, et se comportait durement mais avec ce qui passait sans doute pour une forme de justesse avec ses employés : généreux envers ceux qui lui étaient fidèles, impitoyables envers ceux qu'il estimait s'être mis en travers de son chemin. Dans la sphère privée, cependant, il n'était pas un bon père : impatient, colérique, puis finalement violent lorsqu'il s'était avéré que son fils était mille fois plus doué qu'il ne le serait jamais. »
Ellie eut un hoquet d'horreur, et demanda d'une voix faible :
«Et sa mère ?
— La mère du Dr Richardson est décédée en mettant son fils au monde. Il a toujours pensé que c'était là la source du ressentiment de son père envers lui. Je suis une IA apprenante, Miss Dayton. J'ai commencé mon existence avec les informations qu'avait placées le boss dans mon code. Le reste, je l'ai appris et découvert par moi-même. Je ne suis pas vraiment capable de sentiment, pas avec la même complexité que vous autres humains, mais sachez, Miss Dayton, que je suis sincère dans la haine que je voue à M. Richardson Sr.
— Que lui est-il arrivé ? Et au reste de l'équipage ? Tout ça n'explique pas pourquoi Nolan est seul à bord.
— Imaginez un enfant livré à lui-même dans un navire de cette taille, au milieu d'hommes adultes débordés, célibataires et sans vie de famille pour la plupart. Il était considéré comme un moucheron, comme une nuisance bien avant que son génie soit découvert. Alors les autres hommes l'ont traité comme une erreur de la nature, et son père comme un ennemi. Edward Richardson est mort d'une crise cardiaque quand le boss avait dix-neuf ans. Il a hérité de la Capitainerie et de l'équipage. La première chose qu'il a faite, ça a été de m'implémenter dans le système de bord, puis de larguer tout le monde au point de contrôle le plus proche. Personne ne voulait travailler avec lui de toute manière, et ils passaient le plus clair de leur temps dans leur cabine.
Le second de l'époque, un certain Odhiah, a dit un jour à Nolan que le monde se serait mieux porté s'il n'était jamais né. »
L'IA s'arrêta un instant, comme pour permettre à Ellie de digérer l'ensemble de ces informations. La jeune femme sentait les larmes couler le long de ses joues, ne faisant rien pour les essuyer, pensant à la violence de l'existence du jeune Nolan, orphelin à l'aube de sa vie adulte, après après passé l'intégralité de son enfance victime d'un bourreau sans cœur. Son attention fut attirée par une information, et elle ne put s'empêcher de demander :
«Monday. Tu as dit que Nolan avait dix-neuf quand quand il t'a installé sur l'ensemble des ordinateurs de bord. Quand es-tu né ?
— J'existe dans une forme primitive depuis que le boss a 4 ans. Il a commencé à me concevoir à cet âge-là, même si pour beaucoup, je n'étais alors qu'un ami imaginaire. J'ai commencé à pouvoir répondre, d'abord en binaire, lorsque Nolan avait douze ans. A ses quatorze ans, j'étais capable de former des phrases et de commencer à assimiler le monde qui m'entoure. »
Ellie écarquilla les yeux dans le noirs. Richardson était vraiment ce qu'on appelle un génie. Elle frissonna, épuisée par les émotions de la journée. Peut-être était-il temps de dormir, après tout. Elle s'efforça de maintenir les yeux ouverts pour une dernière question :
«Pourquoi est-ce que le Comité Intergalactique ne l'a tout simplement pas forcé à reprendre un équipage ? »
Cependant, avant que la réponse ne lui parvienne, Ellie était déjà profondément endormie, et Monday décida que l'histoire pourrait bien attendre le lendemain.
Il était temps d'aller voir s'il pouvait également convaincre le Boss que quelques heures de sommeil lui feraient le plus grand bien.
Nolan était, comme bien souvent, enfermé dans son laboratoire, où il s'était enfui une fois le composant récupéré dans le tableau de bord de la capsule d'Ellie Dayton.
Très rapidement, la sensation de malaise qu'il avait éprouvée en présence de la jeune femme s'était dissipée, remplacée par l'excitation d'un nouveau défi. S'il parvenait à réparer l'accès à son serveur secondaire, il verrait peut-être des messages en provenance de la planétropole X649BG et parviendrait à comprendre précisément ce qui s'était passé. Evidemment, il n'était pas un génie pour rien, et certains scénarios tournaient en boucle dans sa tête depuis plusieurs heures, tous plus catastrophiques les uns que les autres.
Il avait besoin de réponses, de certitudes, afin d'établir un plan d'action, et pour cela, il avait besoin de se concentrer.
S'installant en tailleur à même le sol, sa position favorite pour réfléchir et travailler, il s'empara du boîtier du serveur. Il fit rouler ses épaules et craquer sa nuque, se forçant au calme, et s'emparant d'un fin tournevis pour ôter le capot de l'appareil. Il grimaça devant l'électronique qui se révéla à lui : le jeune Nolan n'avait pas fait dans la finesse en composant l'appareil, et il pouvait reconnaître les nombreuses erreurs faites, les soudures maladroites et les circuits malmenés par l'adolescent qu'il avait été. Malgré tout, il ressentir une bouffée de tendresse pour le petit génie, qui avait sans doute fait de son mieux avec les moyens à sa disposition à l'époque.
Il reposa l'appareil sur le sol et se releva, se dirigea vers l'arrière de son laboratoire, où un tas de ferrailles et d'appareils désossés étaient venus mourir après qu'il les ait dépouillés de ce dont il avait eu besoin à un temps donné. Monday appelait ce coin de la pièce "Le cimetière", et Nolan et lui se recueillaient régulièrement devant le monceau d'objets, dans une de leurs cérémonies ironiques. Il eut une bouffée de tendresse envers Monday. Que ne ferait-il pas sans sa précieuse IA ! La pensée fut suivie par une vague de culpabilité : quelques temps auparavant, Nolan avait eu des propos très durs, et il s'en voulait cruellement. Bien sûr, Mon' ne lui en tenait pas rigueur, mais les choses avaient été tendues entre eux juste avant l'arrière de Miss Dayton...
Et voilà que son cerveau l'entraînait sur le chemin d'Ellie. Il se rappelait avoir parcouru son dossier, envoyé par le Conseil en même temps que l'ordre de mission, et il se rappelait avoir été immédiatement fasciné par la jeune femme. Issue d'une famille banale, elle s'était battue becs et ongles au sein de l'Académie pour ressortir parmi les premières de sa promotion. Assignée à l'un des vaisseaux les plus anciens de la flotte de Patrouille, elle avait réussi là encore à se faire remarquer par ses compétences exceptionnelles en ingénierie et en robotique. Puis il y avait eu l'incident à proximité de NaNo632, sa rencontre avec le golem des sables, les semaines qu'elle avait passées seule à bord de sa capsule avant d'être récupérée par le Thésée. Nolan devait reconnaître qu'il s'était attendu à trouver quelqu'un de moins équilibré, traumatisé par son isolement, mais il s'était à la place retrouvé face à quelqu'un d'aussi adapté à la solitude que lui, aussi résilient et déterminé, et cette pensée lui faisait peur.
Son père lui avait toujours répété qu'il était une anomalie, mais si une anomalie se reproduisait, alors qui sait ce que cela pouvait bien vouloir dire ? S'il n'était plus seul dans son cas, que faire des paroles de celui qui l'avait mis au monde et formé, et pour qui il aurait voulu ressentir de la haine mais ne trouvait dans son cœur que chagrin et pitié.
Nolan soupira, se forçant à reconcentrer ses pensées. Il avait du pain sur la planche, et fouilla un long moment parmi les carcasses du Cimetière, récupérant fils, circuits et morceaux de métal qu'il jetait par dessus son épaule sans ménagement. Il était temps de jouer les Frankenstein.
«Monday, appela-t-il distraitement. Lance la playlist "savant fou" s'il te plaît. »
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