Pour mes Wrimos Adélaïde, Lalemey, Mathilde et Payou et leurs mots du jour : Fromage, Truffade, Pinard
Elle l'avait invité à un dîner romantique, "aux chandelles" avait-elle précisé, et il était impatient. Cela faisait maintenant quelques mois qu'ils se fréquentaient, prenant leur temps pour se découvrir, s'apprivoiser, et envisager, pourquoi pas, un futur ensemble.
L'un comme l'autre sortaient de relations longues, usantes et douloureuses, et après un tourbillon de rencards sans saveur, de nuits dans les draps d'inconnu.e.s rapidement oublié.e.s, ils s'étaient rencontrés. Rien d'inoubliable dans le moment non plus, d'ailleurs, seules deux personnes manifestant un intérêt mutuel en cliquant à l'identique sur un site de rencontre à la mode, et entamant une conversation timide, navigant à vue entre les poncifs éculés et les questions trop intimes pour le virtuel.
Très vite, ils avaient choisi de se voir, en terrain neutre. Un bar à vins alors qu'ils étaient tous deux amateurs de bière parce qu'"il faut savoir vivre dangereusement". Les heures avaient défilé sans qu'ils décrochent l'un de l'autre, seuls au monde dans un lieu bondé, leurs têtes penchées en avant pour mieux s'entendre.
Il l'avait raccompagnée en voiture, pour le plaisir de quelques minutes supplémentaires ensemble, et était reparti avec la trace d'un baiser au rouge à lèvres sur sa joue, le cœur battant.
Il aimait son esprit d'indépendance, et ils ne s'écrivaient que peu dans la journée, se réservant pour les moments où ils se voyaient, ou parfois même pour un appel téléphonique nocturne.
Ils étaient sortis toutes les semaines pour un rendez-vous galant différent : la visite d'une exposition, un pique-nique au parc, un billard, un ciné, et même, lors d'une soirée étonnante, un escape game avec des inconnus qui avaient réussi à les harponner alors qu'ils étaient en route pour un bar.
Chaque fois, il s'était senti tomber un peu plus amoureux d'elle, et leur premier baiser avait été exaltant, une drogue dont il s'était retrouvé immédiatement addict. Après ça, elle s'était ouverte à lui sur les problèmes de confiance qu'elle rencontrait, ses difficultés face à l'intimité physique, et il avait rassuré ses peurs du mieux qu'il avait pu. Oui, bien sûr qu'il brûlait de lui faire l'amour, mais il attendrait d'avoir son consentement éclairé et enthousiaste, et il serait aussi patient qu'il le faudrait. Dans l'intervalle, s'il y avait quoi que ce soit qu'il puisse faire pour l'aider à faire tomber ses barrières ou la sécuriser, elle n'avait qu'un mot à dire.
Ce soir, pour la première fois, elle l'avait invité chez elle. Elle était déjà venue à plusieurs reprises chez lui, passant des soirées à regarder des films enlacés sur le canapé, leurs mains se limitant aux gestes dont elle se sentait capable ce soir-là. Il avait eu l'impression de passer un test — sans difficultés aucunes, cependant — comme si elle tenait à vérifier qu'il tiendrait parole sur le respect qu'il lui vouait.
Il espérait que ce soir était une preuve de sa confiance, même s'il ne s'attendait à rien d'autre qu'un dîner, mais le fait d'être invité sur son territoire semblait un immense pas, et il tenait à en être digne.
C'est ainsi qu'il se retrouva, la main tremblante d'émotion, à sonner à son interphone, son autre main agrippant un bouquet de fleurs.
Il grimpa quatre à quatre les étages qui le séparaient de sa bien-aimée, et ne put retenir un immense sourire quand elle se jeta dans ses bras la porte à peine ouverte, recouvrant sa bouche, ses joues et tout ce qu'elle pouvait atteindre de doux baisers.
Elle le prit par la main — celle qui ne tenait pas le bouquet — et l'entraîna vers le salon, où elle l'invita à s'asseoir sur le canapé, avant de se planter sur ses genoux, blottie contre son torse. Il déposa les fleurs à côté de lui, et l'entoura de ses bras, ses mains caressant doucement son dos dans un geste réconfortant, intime et qui était désormais un réflexe ancré en lui.
Ils restèrent ainsi enlacés en silence quelques minutes, puis elle se détacha de lui, prenant le bouquet et se dirigeant vers la cuisine avec un sourire et un mot tendre.
Il prit une grande inspiration, appréciant le sentiment de plénitude qui l'envahissait en sa présence, et se leva, appelant après elle.
Elle l'invita à la rejoindre dans la cuisine, un sourire malicieux sur les lèvres.
«Tu te rappelles la dégustation de fromages sur laquelle nous étions tombés sur ce petit marché de producteurs nocturne ? »
Il hocha la tête, trop occupé à la dévorer du regard pour utiliser ses mots.
«Le vieux monsieur m'avait laissé sa carte, et j'ai commencé à travailler pour lui à sa communication en ligne. Il m'a dit qu'il était temps que son activité rentre dans le vingt-et-unième siècle, et on a bossé ensemble à une stratégie social media. Les retours sont déjà énormes et il a des clients de partout qui viennent le rencontrer et goûter ses produits, et il m'a fait un petit cadeau pour me remercier... »
Son sourire s'agrandit, et il enfonça les mains dans ses poches pour s'empêcher de le tracer amoureusement du bout des doigts. Il savait que le contact serait sans doute autorisé et apprécié, mais il avait envie d'entendre la suite de son histoire, et la sensation brûlante au creux de son estomac pouvait encore patienter quelques instants.
Cependant, avant de continuer, elle s'approcha de lui et extirpa sa main de sa poche, la portant à ses lèvres pour déposer un baiser dans sa paume puis y blottir sa joue. Son regard pétillant changea en quelque chose de plus doux mais aussi de plus intense, et elle s'inséra dans ses bras. Il déplaça sa main de sa joue à ses cheveux, autant pour les caresser que pour l'inviter à basculer son visage en arrière et le regarder. Sur ses traits, il lut tout son amour, et quelque chose qui ressemblait à de la gratitude, et il se pencha pour partager un chaste baiser, avant de la serrer un peu plus fort, son oreille posée sur son torse au dessus de son cœur.
Quelques secondes s'écoulèrent avant qu'il ne demande :
« Alors, ce petit cadeau, qu'est-ce que c'est ? »
Il sentit son rire avant de l'entendre, et elle se désemmêla de leur étreinte, l'étincelle chipie de retour dans son regard.
«Et bien... Je sais que je t'avais promis un dîner romantique, et ça peut toujours l'être, mais au menu de ce soir... »
Elle fit une nouvelle pause dramatique, et il eut envie de se mettre à genoux et de lui déclamer des vers alors qu'elle soulevait le couvercle d'une immense sauteuse sur le feu :
«Ce soir, mon cher, c'est truffade ! »
Il explosa de rire devant son air canaille, et se pencha de nouveau pour réclamer un autre baiser, qu'elle lui donna avec joie. Ils souriaient tous les deux beaucoup trop pour que leurs lèvres se touchent réellement, mais ils n'en avaient cure. Quand elle se recula une nouvelle fois, il ne put retenir un grognement d'insatisfaction, et elle lui caressa la joue affectueusement pour le réconforter.
«Attends, ce n'est pas tout ! Pour accompagner ce délicieux repas léger et romantique... »
Une énième pause dramatique pendant qu'elle farfouillait dans le frigo...
«J'ai du pinard ! Pardon, du vin. Mon petit papy dit toujours "pinard" et il faut croire qu'à force, il déteint sur moi. Mais bref, qu'en dis-tu, pour un repas entre amoureux ? Truffade et pinard ? »
Il sourit. C'était parfait.
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