Pour le prompt du 16 novembre de mon NaNoWriMo.
Faites partir ces fantômes
Edna s'agitait dans la maison autant que ses petites jambes de grand-mère pleines d'arthrose le lui permettaient. Elle était décidée à secouer sa sauge fumante dans chacune des pièces, ses lourdes lunettes glissant sur le bout de son nez.
Derrière elle, son nouveau locataire, un jeune homme de 25 ans prénommé Thomas, se tenait actuellement dans l'entrée de l'appartement, agrippé à la poignée de la porte, le teint pâle et les genoux tremblants. Il semblait prêt à s'enfuir, et Edna se dit qu'elle lui proposerait une tasse de thé corsée au cognac une fois son rituel fini, car le petit en avait bien besoin.
«Allons, allons », dit-elle de sa voix chevrotante, ses pas mesurés la menant déjà dans une autre pièce, hors de la vue du jeune homme.
Celui-ci poussa un gémissement et, progressant sur la pointe des pieds en restant collé au mur, se rapprocha dans l'embrasement de la porte du salon, afin de pouvoir encore surveiller Edna.
«Tout va bien, mon enfant, le cajola-t-elle. Vous n'avez rien à craindre d'eux, vous savez. Cela fait 50 ans que je vis dans cette maison, et jamais ils ne m'ont embêtée. C'est leur demeure avant la nôtre ! »
A ces mots, le jeune homme sembla pâlir un peu plus, et Edna retint un sourire, ainsi qu'une remarque sur l'ironie de la situation.
«Je m'en fiche, dit-il d'un ton capricieux. Faites partir ces fantômes ! »
La grand-mère se retourna, les sourcils froncés. Elle ressemblait à une chouette en colère, et pointa sa sauge vers le jeune homme menaçant.
«Ah non, alors ! Je veux bien purifier les énergies négatives et vous permettre de mieux cohabiter ensemble, mais il est hors de question que je chasse les esprits de cette maison ! Je préfère encore rompre votre bail ! »
En voilà un qui vient de perdre ses privilèges de thé au cognac et de cookies, songea-t-elle durement.
Face à elle, le jeune homme sembla perdre de sa contenance, se dégonflant comme une baudruche fatiguée.
«Désolé, Madame Edna. S'il vous plaît, ne me chassez pas. C'est juste qu'ils m'ont fait peur, vous comprenez ? Ce n'est pas le premier tour qu'ils me jouent, et je suis un peu à cran... Bien sûr, c'est chez eux d'abord. Peut-être pouvons-nous trouver un accord pour mieux vivre tous ensemble ? »
Le visage d'Edna changea rapidement, passant de la joie à la confusion.
«Ils vous jouent des tours, dites-vous ? Hum... »
Soufflant sur le rouleau de sauge qu'elle tenait dans la main, elle prit une grande inspiration, et d'une voix forte, étonnante pour une dame d'une si petite taille, elle cria :
«Anatole ! Gédéon ! Montrez-vous ! »
Deux rires aigus résonnèrent, qui firent se dresser les cheveux sur la nuque du pauvre Thomas. Puis deux silhouettes apparurent, deux hommes d'une soixantaine d'années, flottant au plafond.
Thomas serra les dents et ferma les yeux, retenant à grand peine le gémissement qui menaçait de s'échapper de sa gorge.
Une nouvelle fois, Edna brandit sa sauge comme une arme en direction des deux spectres, l'agitant avec colère :
«Vous êtes deux grands-pères morts depuis presque un siècle ! Pouvez-vous cesser de tourmenter la jeunesse et vous comporter avec la décence qui sied à votre âge ? Ne me forcez pas à vous poursuivre jusque dans l'au-delà ! »
Piteux, les deux fantômes descendirent de leur perchoir pour se tenir, la tête baissée et la mine contrite, face à la grand-mère campée avec les poings sur ses hanches.
«Désolés, Miss Edna », dirent-ils d'une même voix.
La mamie sourit, contentée.
«C'est bien. Maintenant, disparaissez, c'est l'heure de mon feuilleton ! »
Et elle tourna les talons, repartant à petits pas mesurés en direction de son appartement.
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