Une fois n'est pas coutume, je partage en direct l'un des textes de mon NaNoWriMo. Attention, ça veut dire qu'il n'y pas eu de relecture, et donc probablement beaucoup de fautes de frappe. N'hésitez pas à me les signaler.
Je partage le texte, parce qu'il est la suite de No Man's Land.
Ellie n'avait jamais cru en la chance, le hasard, la destinée et tous les trucs dont sa grand-mère lui rebattait les oreilles dans sa jeunesse.
L'idée d'avoir un gri-gri sur elle, une "patouille" comme elle appelait ça, lui semblait ridicule, et pourtant...
Depuis qu'elle était à bord du Thésée, elle se surprenait à porter régulièrement la main à son cou, agrippant au travers de son uniforme le pendentif qui reposait contre sa poitrine, et qui avait été un cadeau d'Aurora après leur première mission. C'était un de ces colliers d'adolescente avec une moitié de cœur et les initiales de l'autre, et son amie portait l'autre moitié. Elles avaient gloussé toutes les deux en sortant de la boutique bras dessus-bras dessous, et s'étaient juré de ne jamais être séparées.
La promesse avait duré encore dix missions, avant l'accident qui avait séparé Ellie de son équipage et de sa meilleure amie.
Depuis, elle touchait régulièrement le bijou, comme pour sentir la présence de son amie et s'en sentir réconfortée.
Elle y pensait à ce moment-même, les doigts blancs et douloureux d'agripper le pendentif, tremblant comme une feuille le regard vide face aux écrans de contrôle. Elle avait l'impression que la vie s'écoulait lentement à l'extérieur d'elle, et qu'elle allait bientôt s'effondrer.
La voix posée de Monday s'éleva, l'extirpant de ses pensées.
«Miss Dayton. Je ne pourrais que vous suggérer d'aller faire chauffer une grande bouilloire d'eau, et de vous faire infuser un thé. Je vous saurais gré également d'en préparer un pour le Boss, qui en a bien besoin également. Moi-même, si j'étais pourvu d'un corps et d'organes digestifs, je vous en demanderais un. »
Devant elle, s'agitant sur les écrans, le Dr Richardson se redressa avec une expression outrée.
«Monday ! Je ne bois pas de thé, je déteste ça. Dayton, faites-moi un café. »
Il fit un geste de la main à son intention, comme pour la congédier, et retourna à ses écrans, considérant apparemment le sujet clos.
Ellie relâcha sa prise, et, ne sachant comment réagir, tourna les talons pour se diriger vers la cuisine.
Là, Monday la guida d'une voix calme dans la préparation de son thé, et de celui de Richardson, expliquant que peu importe l'objection du scientifique, il boirait ce qui lui serait servi, et un thé était la boisson la plus appropriée au regard de la situation.
Serrant la tasse brûlante entre ses mains, Ellie leva les yeux vers la caméra la plus proche, sa manière de regarder l'IA dans les yeux. Elle frissonna, s'obligeant à poser la question dont elle redoutait la réponse :
«Et quelle est la situation, Monday ? Que se passe-t-il vraiment ? »
L'Intelligence Artificielle marqua un temps avant de répondre, comme pour regrouper ses pensées. Décidement, Richardson était un génie certifié : on pourrait presque croire que Monday était pourvu de sentiments.
«Vous n'êtes pas sans savoir, Miss Dayton, que nos circuits de communication sont endommagés depuis un certain temps. Avant d'arriver à votre rescousse, nous avons essuyé un orage galactique, et des composants majeurs ont été endommagés. Le Boss a fait de son mieux, mais il manque certaines pièces pour réparer l'intégralité du système. Nous avions le choix : faire demi-tour pour les réparations, ou continuer la mission, et nous en préoccuper plus tard. Votre présence à bord est le témoignage du choix qui fut fait. »
Ellie eut un hoquet de surprise, et ouvrit la bouche pour commenter, mais Monday reprit :
«Le Boss vous le dira : placé mille fois dans la même situation, il referait mille fois le même choix. Les vies humaines sont précieuses, Miss Dayton, et la vôtre autant que n'importe qui. Malheureusement, l'incident signifiait aussi être coupé du Point de Contrôle durant tout le retour, le Boss n'ayant réussi à réparer que ce qui était nécessaire pour les communications courte fréquence nécessaires à votre sauvetage. Cela signifie que nous n'aurions jamais pu recevoir un quelconque appel de détresse en provenance de la planétropole X649BG et encore moins y répondre. Il n'y a personne à blâmer ici. »
Ellie soupira, essuyant ses yeux où les larmes perlaient du revers de sa manche.
«Merci Monday. Je vous suis reconnaissante de m'avoir secourue, mais c'est difficile pour le moment.
— J'ai cru comprendre, Miss, que les humains avaient besoin de temps pour procéder à leurs émotions. Je suis ravi de voir qu'en tout cas, vous ne semblez pas ressentir le besoin de taper des heures durant sur un bout de métal pour assimiler les vôtres. »
La remarque sarcastique lui arracha un sourire, et elle s'émerveilla encore devant la qualité du code de Monday, capable d'humour. Cette pensée l'entraîna vers le Dr Richardson, et elle s'éclaircit la gorge pour demander :
«Dis-moi, Monday. Est-ce qu'il y a quelque chose que je puisse faire pour aider ? Comment puis-je me rendre utile ? Et concrètement, pas juste pour faire du thé. »
L'IA n'eut pas le temps de répondre que les portes de la cuisine s'ouvrirent, laissant passer un Nolan débraillé et couvert de graisse, les cheveux en bataille.
Il agrippa sans un mot le thé brûlant, qu'il descendit d'une traite avant de reposer la tasse et de grimacer.
«Mon', espèce de traître ! J'avais demandé du café, pas ces plantes dégoûtantes ! »
Il se laissa tomber sur la chaise face à Ellie sans attendre de répondre, et pointa un doigt sur elle. Son énergie nerveuse mettait la jeune femme mal à l'aise, et elle se tortilla sur sa chaise.
«Vous ! Vous voulez aider, c'est tant mieux. Monday est le plus intelligent de nous tous - à part moi, évidemment - mais il manque de deux attributs précieux dont j'ai grandement besoin : des mains ! »
Il agita les siennes sous le nez d'Ellie, qui loucha en essayant de suivre le mouvement.
Le scientifique parlait à mille à l'heure, et elle sentait poindre le début d'une migraine de tension. Prenant un risque calculé, elle interrompit la course des mains du génie en les agrippant avec les siennes, serrant fermement mais sans violence.
«Docteur, le stoppa-t-elle d'une voix ferme. Je suis prête à être votre assistante, votre main d'œuvre, tout ce que vous voulez, mais j'ai besoin que vous fassiez quelque chose pour moi en échange. »
Face à elle, le scientifique fixait leurs mains enlacées la bouche bée, et elle attendit patiemment qu'il relevât les yeux vers elle pour reprendre calmement :
«Je ne suis pas un génie. J'ai tout un bagage scientifique qui est certain de ne jamais rivaliser avec le vôtre, mais j'ai une vingtaine de missions à mon actif. Je viens de passer de très nombreuses semaines seule dans une capsule en errance dans l'espace, et j'avais déjà quelques difficultés à me réadapter, alors la disparition de notre planétropole est un peu compliquée pour moi. J'ai besoin que vous m'expliquiez avec calme et lenteur ce qu'il se passe, et ce que vous attendez de moi. Est-ce que vous pouvez faire ça pour moi, s'il vous plaît ? Doc ? »
Richardson hocha doucement la tête, les yeux rivés sur ceux de la jeune femme, comme surpris. Elle relâcha ses mains, et ce fut comme un courant électrique qui le parcourut, le faisant sursauter sur sa chaise. Rapprochant ses mains de son torse comme pour les protéger, il reprit plus lentement.
«Comme Monday vous l'a expliqué, nous avons été coupés du reste de l'univers sur le chemin pour venir vous récupérer, et je n'avais pas le matériel nécessaire à une réparation complète. Mais, j'avais placé un petit logiciel en fonctionnement sous-marin, qui tenterait de récupérer les messages en ondes longues, sans écoute immédiate possible, en les stockant sur un serveur auquel Monday n'a pas accès. C'est un serveur bis qui date d'avant son époque, avec une technologie tellement datée que ç'aurait été une insulte de l'incorporer à son code, mais à situation désespérée... Bref, je crois que si on dissèque votre capsule, je peux y récupérer les composants nécessaires à la lecture de ces messages, s'il existe et si le serveur n'a pas cramé entre temps. Je n'exclus aucune possibilité. Mais ces vieux singes du Conseil Interplanétaire ne sont pas connus pour fournir de l'équipement dernier cri à leurs équipages, et le Terpsychore est un des plus anciens vaisseaux encore en service donc... Vous êtes avec moi ? »
Ellie ressentit un petit pincement au cœur à l'idée de décortiquer sa capsule. C'était un morceau de son vaisseau, et de son histoire, et elle y était attachée. Après leur cinquième mission ensemble, Aurora, Tergan et elle avait passé une journée entière à la retaper, inscrivant un tas de remarques stupides et d'obscénités au marqueur sur le fuselage avant de les recouvrir d'une couche épaisse de peinture opaque par dessus. Puis elle songea à ce que Nolan et Monday avaient sacrifié pour venir à sa rescousse, et elle hocha la tête avec détermination.
«Ce qui est à moi est à vous, Docteur Richardson. Allons démonter ma capsule. »
L'homme lui offrit un sourire large et lumineux, si sincère qu'Ellie sentit son coeur s'accélérer. Elle prit la main qu'il lui tendait et la serra, alors qu'il disait :
«Appelez-moi Nolan. »
Quelques heures après, Ellie décida que Nolan était aussi agaçant qu'il était attendrissant. Quand elle lui avait expliqué l'histoire des inscriptions sur le fuselage, il avait haussé les épaules, et demandé à Monday de prendre note de lui rappeler de préserver tout ce qui n'était pas de l'ordre de l'électronique. Ellie avait été touchée par le geste, puis horrifiée lorsqu'il avait sorti un couteau de sa poche et entreprit de taillader l'ordinateur de bord. Elle n'avait pas eu le temps de protester qu'il lui avait fallu s'accroupir en vitesse pour éviter les composants qui volaient, jetés sans ménagement par le scientifique dans son dos sans un regard derrière lui.
Il avait un tournevis encore les dents, et semblait gratouiller quelque chose en grognant, quand il se tourna vers Ellie pour lui intimer de se rapprocher avec un geste impatient de la main.
Elle rampa vers lui, se penchant par dessus son épaule pour observer.
«Vous voyez le petit circuit qui est là au fond ? Je le veux. Je le veux, j'en ai besoin, mais le moindre mouvement maladroit en le retirant fera cramer les composants. C'est déjà un miracle qu'il ait survécu à votre rencontre avec un golem. »
Son élocution était étrange avec le tournevis en travers de sa bouche, et il dût s'interrompre pour le retirer, essuyant un filet de bave au passage.
«J'ai besoin que vous vous faufiliez sous le tableau de bord pour le récupérer. Je maintiendrai tous les fils écartés pour vous assurer le passage et vous empêcher de vous électrocuter, mais ma carrure est trop importante pour passer. »
Ellie ne put de retenir de pouffer, s'attirant un regard noir. Richardson devait mesurer à tout casser dix centimètres de plus qu'elle, et encore, elle était à peu près sûre qu'il portait des talonnettes. Il n'était pas non plus très large, bien que son t-shirt laissât apparaître des muscles bien dessinés, maintenant qu'il avait retiré sa veste.
Ellie lui fit un grand sourire, ne manifestant aucune honte, et s'approcha un peu plus pour prendre position.
Il s'écarta, les bras tendus au dessus d'elle, et elle se contorsionna pour se faufiler sous le tableau de bord, obéissant aux directives lancées par Nolan. Lorsqu'enfin elle fut sous le composant, il glissa dans sa main un outil minuscule.
«C'est le moment de vérité, Elizabeth. Si vous voulez retenir votre souffle, ça peut être une bonne idée. J'ai besoin que vous coupiez tout doucement le câble à votre droite. Tout doucement. »
Elle inspira, et lentement, leva l'outil à hauteur de son visage, sectionnant le câble et retirant sa main avant de respirer. Le circuit pendait à quelques centimètres de son nez, et elle ferma un instant les yeux pour se recentrer.
La voix de Nolan lui parvint, à peine plus forte qu'un murmure.
«C'est bien. Maintenant, le fil de gauche. Petit twist : vous allez devoir le couper à une seule main, en plaçant l'autre juste sous le circuit pour l'empêcher de tomber. Je ne veux prendre aucun risque s'il est déjà fragile. »
Elle aurait voulu hocher la tête, mais avait trop peur de cogner le composant, et se contenta de tapoter la partie accessible du scientifique avec son genou pour lui signaler qu'elle avait compris. Apparemment, c'était sa cuisse, et l'homme s'était installé à califourchon par dessus ses jambes. Ellie s'empêcha de penser à l'étrangeté de la situation, et déplaça l'outil de sa main droite vers la gauche. Sans être parfaitement ambidextre, elle était capable de se débrouiller, et préférait utiliser sa main dominante pour récupérer le circuit.
Au-dessus d'elle Nolan cessa également de respirer, un léger couinement s'échappant de lui juste avant que le ciseau ne tranche le câble. Ellie s'obligea à rester immobile, attendant la suite.
«Ok, Miss D., vous êtes géniale. Maintenant, il va falloir vous coulisser hors de là, tout doucement. Par contre, je... ahem... Je suis juste au dessus de vous. J'avais du mal à vous voir et à maintenir les câbles écartés donc...
— Doc, l'interrompit-elle sans ménagement. J'ai vécu dans des cabines mixtes avec un équipage de 30 personnes. On s'habitue à la promiscuité. Restez où vous êtes, j'arrive. »
Elle glissa lentement au sol, s'aidant même en repliant ses jambes pour presser le dessus de ses cuisses dans le dos du scientifique pour avancer plus vite. Au-dessus d'elle, il avait le visage rouge et tendu, s'efforçant de regarder partout sauf le corps fin qui coulissait entre ses jambes.
Ellie se râcla finalement la gorge, pour lui indiquer gentiment :
«C'est bon, Nolan. Vous pouvez relâcher les câbles et vous relever. Je suis sortie. »
L'homme bondit à toute vitesse, s'enfuyant de la capsule. Elle le suivit, un sourire en coin et le pas plus mesuré. Elle lui laissa le temps de reprendre ses esprits, et finalement, il tendit la main pour qu'elle y dépose délicatement le circuit.
«Nous aurons probablement besoin d'autres choses, mais je voudrais tester ce petit gars d'abord, si cela vous va. »
Sa voix, bien que toujours chaleureuse, était retournée à une intonation toute professionnelle, et il lui fit un sourire tendu avant de tourner les talons et repartir au cœur de l'immense vaisseau.
Ellie soupira, et s'assit sur la passerelle, le menton entre les mains.
«Monday ? Est-ce que j'ai fait quelque chose de mal ? »
La dernière chose qu'elle souhaitait était de mettre Nolan mal à l'aise, et il semblait pourtant qu'elle y avait réussi....
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