samedi 21 août 2021

[Défi Marathon - Semaine 6] Le Dîner - 5ème partie

 Semaine 6 du Défi Marathon de Vicky Saint-Ange : unifier les textes. Ayant participé au Défi Sprint, je connaissais la contrainte, et j'ai triché un peu en écrivant la même histoire de semaine en semaine. 
Je me suis malgré tout efforcée de faire des call-backs aux épisodes précédents. Au final, mon texte de conclusion faisait 2072 mots, et je n'étais pas satisfaite de la piste suivie. 
J'ai donc décidé de couper la poire en 2 : vous n'aurez cette semaine qu'une partie de texte (1320 mots). Ce que j'attends de vous, c'est de me donner vos théories sur la fin de l'histoire : ici en commentaires, sur Twitter si c'est de là que vous arrivez, en DM sur Discord (nom d'utilisatrice : Mamie Odetolily#6859). Et j'écrirais vos versions, et je dévoilerai la mienne plus tard. Allez ! 


Il fallut que la pauvre Ekundayo Saka soit retrouvée flottant dans la piscine, noyée, pour que je la raye de ma petite liste de suspects. Nous en étions au jour 8, et l’animosité régnait dans notre prison dorée, ce beau Palais Gresham qui nous semblait désormais terrifiant, sa grandeur funeste alors que le silence y régnait.

Je devais avouer que la jeune Nigériane avait fait une candidate idéale : écrivaine, autrice de polars, elle avait elle-même avoué sa fascination pour le huis-clos que nous vivions. Elle aurait très bien pu en être l’instigatrice, reproduisant une étude grandeur nature pour son prochain roman, ou ayant simplement pété les plombs à force d’inventer des horreurs perpétrées par des personnages fictifs, et décidé de passer à l’acte par elle-même.

Mais elle était morte, désormais, et le mystère s’épaississait. Les lettres disaient que nous mourrions au terme de quinze jours, mais cela faisait à peine plus d’une semaine et deux d’entre nous avaient déjà passé l’arme à gauche. La paranoïa nous gagnait, alors que les sbires chargés de notre surveillance se raréfiaient.

Pourquoi alors ne me suis-je pas enfuie ? Je me suis posé la question des centaines de fois. J’aurais pu partir, me battre, alerter quelqu’un, mais je suis restée passive, tel un lapin pris dans la lueur des phares.

Je n’osais plus ou presque sortir de ma chambre. Mes escapades consistaient en des raids dans la cuisine, empilant des provisions et rasant les murs des couloirs avant de retourner dans la suite qui m’avait été allouée, tous les sens en alerte.

Je rêvais toutes les nuits du Dr Singh et d’Ekundayo. Ils me hantaient, me promettaient que j’étais la suivante sur la liste, que j’allais les rejoindre. Je me réveillais en sueur et terrifiée.

Parfois, je croisais Olena lors de mes rares sorties. Elle semblait complètement éteinte, vidée de toute substance. Ses longs cheveux blonds pendaient tristement, secs et ternes le long de son visage, ses traits pâles et creusés étaient accentués par l’absence de maquillage. Il ne restait rien de la femme affirmée et mystérieuse qu’elle était le premier soir, celle qui avait joué avec les nerfs du Dr Singh, dont la vivacité d’esprit m’avait tant fascinée. Si je n’avais pas été capable de la toucher pour m’assurer de sa consistance, j’aurais pu jurer avoir affaire à un fantôme.

Le pauvre Johan, lui, restait introuvable. Peut-être avait-il finalement trouvé moyen de prendre la poudre d’escampette et de retourner auprès de sa douce Katjia, peut-être serait-il le seul rescapé de notre funeste aventure. Je l’espérais pour lui. Que l’un d’entre nous s’en sorte.

Je crois que j’avais à ce moment-là fait le deuil de ma propre vie. J’étais résignée, et ne faisais que retarder le sort. La mort m’avait été promise, et c’était elle que j’attendais.

Finalement, au terme du douzième jour, des coups frappés à ma porte me firent sursauter. Etait-ce le destin qui venait me cueillir. J’ouvris en tremblant.

Olena se trouvait face à moi, les yeux baignés de larmes, sa silhouette squelettique enveloppée dans un châle diaphane qui n’empêchait pas les frissons de parcourir son corps.

« Camille, me dit-elle en chuchotant, les yeux écarquillés de terreur. Je viens me confesser. »

Je reculais de quelques pas pour lui permettre de rentrer, sans pour autant la quitter des yeux. Je ne savais pas où elle voulait en venir, et malgré son apparence fragilité, rien ne me garantissait qu’elle n’allait pas soudainement m’attaquer.

 

Elle se contenta de se laisser tomber lourdement sur le lit, comme si son corps avait perdu toute force et gisait là, désarticulé. Je m’approchais à pas de loup, peinant à me départir de ma méfiance, mais étonnée malgré tout de son comportement, tant Olena me semblait désormais éloignée de la Grande Dame Slave qui m’avait tant impressionnée les premiers jours. Je remarquais que ses yeux étaient rougis et bouffis de larmes, et un sentiment d’horreur m’envahit. Venait-elle m’avouer qu’elle avait assassiné le Docteur Singh et Ekundayo ?

Elle leva un regard implorant vers moi, et je m’agenouillais face à elle.

« Olena. Parlez-moi, que venez-vous confesser ? »

Elle prit une inspiration hachurée par les sanglots, avant de se lancer dans son récit.

« Si vous vous rappelez bien, je n’ai jamais eu l’occasion de vous raconter mon histoire. Mon nom est bien Olena Serhiyivna Volkova, je suis bien Ukrainienne, et j’ai bien 54 ans. Mon père n’était pas une victime du Goulag, mais un homme haut placé dans la hiérarchie du KGB. Je suis une riche veuve qui a grandi dans un monde d’espionnage, de contre-espionnage et de trahison. J’ai toujours soupçonné feu mon mari d’avoir fait assassiner mon père, et Poutine d’avoir fait assassiner mon mari. J’ai quitté l’Ukraine pour le Royaume-Uni en 2012, décidée à vivre une vie de calme.
J’ai découvert l’ennui. Les mensonges et les manigances se sont mis à me manquer très vite. Alors j’ai élaboré ce plan. Quand j’étais enfant, le Palais Gresham appartenait à la ville de Budapest, et j’y ai assisté à de nombreuses réunions secrètes. J’ai eu envie d’y réunir des gens à la personnalité ou à l’histoire de vie intéressante. Je voulais tuer l’ennui. La vérité, c’est que je vous ai tous choisis plus ou moins au hasard, au travers de recherches internet diverses et variées. Il n’a jamais réellement été question que qui que ce soit meure. C’était juste un moyen de vous attirer ici. »

Elle s’arrêta pour reprendre son souffle et éponger ses yeux baignés de larmes. La tête me tournait et je reculais un peu plus, m’arrêtant une fois le dos au mur. Je me sentais vidée de toute énergie, et je n’y comprenais plus rien.

« Olena…, murmurais-je. Je ne comprends pas. »

« Le directeur de l’hôtel est un vieil ami. Je l’ai grassement payé pour louer le bâtiment en entier pour quinze jours. J’ai embauché des acteurs pour faire le personnel. Anton – notre maître d’hôtel – est parfait, n’est-ce pas ? Une vraie perle. Ils ont pris peur à la mort du Docteur, et ils refusent désormais de rester jour et nuit. Je ne peux pas leur en vouloir. J’ai peur, moi aussi. »

« Mais que devait-il se passer exactement ? »

Je n’arrivais toujours pas à voir où Olena voulait en venir, et la colère commençait à monter.

« Je suis mourante. »

Elle baissa les yeux. Elle me semblait si petite et si fragile, j’aurais pu la prendre en pitié si la situation avait été différente.

« J’ai tout cet argent, et personne à qui le laisser. Je n’ai pas de famille. Alors m’est venue cette idée de réunir quatre inconnus. S’ils étaient assez braves pour venir malgré les menaces, ils méritaient de toucher une part de mon héritage à ma mort. Je voulais des esprits libres et indépendants, des gens qui ont surmonté des difficultés, des gens à l’opposé de mon existence. Toutes ces menaces dans la lettre, c’était juste des paroles en l’air. Il n’y a que moi qui était censée mourir au terme de ces deux semaines avec vous. Mon notaire a essayé de me dissuader mais… J’ai toujours été têtue… »

« Olena ! Le Docteur Singh est mort égorgé ! Ekundayo a été noyée ! Comment l’expliquez-vous ? »

Elle s’effondra en larmes. Je me relevais, faisant les cent pas dans la chambre. Tout en moi me criant d’aller la consoler, mais toutes ces révélations étaient beaucoup trop perturbantes. Si tout cela était faux, pourquoi est-ce que nous mourrions tous à tour de rôle. Et qui était le prochain sur la liste ?

Une idée me vint enfin.

« Vous pouvez appeler quelqu’un ! Vous devez forcément avoir encore des contacts au KGB. Quelqu’un doit pouvoir nous venir en aide ! »

 

Elle secoua la tête.

« C’est fini, Camille. Nous allons mourir. »

« Je vais chercher Johan et lui expliquer la situation. Nous allons nous en sortir ensemble. »

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