Le Défi Marathon de cette semaine était : "Kill your darlings". Comme pour le Défi Sprint, j'ai eu du mal à interpréter la consigne. J'ai d'abord essayé de casser le schéma narratif mis en place dans les chapitres précédents. J'ai essayé de me déstabiliser avec une mise en abîme. Et finalement, j'ai tué un de mes personnages. Je ne sais pas si ça répond complètement à la consigne, mais je ne suis au moins mise en danger, et je suis sortie de ma zone de confort.
Pour lire les parties précédentes : 1 - 2 et 3
Dans ce chapitre, sans qu'on rentre dans les détails, TW Mort et Sang. 1116 mots
Au milieu de l’abrutissement général, une voix veloutée
s’éleva :
« L’intrigue demanderait à ce que je vous raconte mon
histoire de vie à mon tour, cependant, il est désormais évident qu’il n’y a
aucun schéma logique à ce qui nous arrive, et la mésaventure de M. Eschenbach
nous aura montrés que nous sommes d’ores et déjà, à notre corps défendant, les
victimes d’un jeu dont nous ignorons les règles. Malgré tout, afin de faciliter
la discussion, je vous offre quelques faits à mon propos. Je m’appelle Ekundayo
Saka, j’ai 38 ans, et je suis originaire du Sud-Ouest du Nigéria. Mon prénom
signifie « le chagrin devient joie ». Je fais partie du peuple
Yoruba, mais j’ai déménagé à New York il y a deux ans. Je suis autrice, et j’écris
des polars. Je ne pensais pas me retrouver un jour à vivre une histoire digne
d’un huis-clos. Si je considère ce qui nous arrive comme la structure d’un de
mes romans, il ne nous reste que peu de temps avant le dénouement de
l’histoire. Une partie de moi a envie de me mettre en retrait et de griffonner
furieusement dans un carnet, une autre partie de moi est excitée à l’idée de
pouvoir résoudre le mystère, et la dernière partie de moi attend avec
inquiétude la fin de l’histoire. On nous a promis qu’elle serait tragique, mais
jusqu’alors, impossible de comprendre le pourquoi du comment. Allons-nous nous
retourner les uns contre les autres, et tuer les autres dans l’espoir de
survivre ? Allons-nous mystérieusement succomber chacun à notre
tour ? Allons-nous être collectivement empoisonnés, l’avons-nous déjà été
par ce repas partagé ? Allons-nous découvrir l’identité de notre bourreau
et ses motivations ? Je suis fascinée autant que perturbée… »
La jeune femme faisait les cent pas dans notre salle de
dîner, réfléchissant à voix haute, et je ne pouvais m’empêcher d’admirer sa
grâce et son calme. Je me refusais toutefois à partager sa fascination.
Elle sortit de sa poche la lettre, que je reconnus au seau
sur le papier à en-tête. « Une chambre vous sera attribuée sur place pour
le temps de votre séjour, qui sera de deux semaines, au terme desquelles vous
mourrez. », récita-t-elle, jetant à peine un œil au courrier.
« Que va-t-il se passer durant ces deux semaines ? »
…..
Pas grand-chose, c’était la réponse. Il s’avéra très vite
que nous disposions chacun d’un garde posté devant la porte de nos chambres,
déguisé en serviteur, mais avec le regard dur et la mâchoire carrée de
quelqu’un désireux de nous faire comprendre qu’il ne valait mieux pas nous
risquer à le défier. L’hôtel était vide de tout autre voyageur, ce qui en
disait long sur la richesse de notre hôte – ou de notre bourreau, selon notre
façon de voir les choses. Aucun de nous ne semblait désireux de tenter une
évasion, et même le pauvre Johan semblait avoir renoncé à se débattre après son
altercation avec le majordome, notre Geôlier, comme je finissais par le nommer.
Notre seule liberté était celle de téléphoner à nos proches partout dans le
monde, et j’entendais tous les soirs pleurer le boucher de Dresde dans sa
chambre alors qu’il se lamentait auprès de sa femme, terrifié à l’idée de ne
plus jamais la revoir.
Le reste d’entre nous mettait ses journées à profiter pour
explorer la magnificence du Palais Gresham, et sans doute aussi pour Ekundayo
et la Grande Dame Slave mener leur enquête.
Elle s’appelait Olena Serhiyivna Volkova, était Ukrainienne,
et avait 54 ans. Elle avait commencé à nous raconter son histoire lors du
deuxième soir, lorsque nous étions à nouveau réunis pour dîner, mais une alarme
avait retenti dans l’hôtel et nous avions été reconduits en urgence à nos
chambres, où nous avions fini le reste de notre repas en solitaire. Elle
n’était jamais revenue par la suite sur la conversation, et je ne pouvais
m’empêcher de m’imaginer qu’elle était possiblement responsable ou complice de
notre situation.
Si toutefois elle était coupable, elle cachait parfaitement
bien son jeu, et ses talents d’actrice étaient dignes d’un Oscar.
Pour ma part, je passais de longues heures au spa, à admirer
la vue au travers des immenses baies vitrées, ou à rêvasser, un roman à la
main, dans l’un des salons. J’aurais voulu pouvoir explorer la ville, je me
contentais d’en apprécier la ligne d’horizon et les façades des bâtiments,
ainsi que ses lumières la nuit.
Au bout d’une semaine, toutefois, nous tournions comme des
lions en cage. Johan, en particulier, était passé de la résignation à la
colère, semblant prendre à rebours les étapes du deuil. Je l’avais surpris,
sortant des cuisines, dissimulant un couteau sous sa veste, et je craignais le
pire. Si les invectives qu’il hurlait en allemand chaque jour à nos gardes
étaient un indicateur, il basculait petit à petit dans une rage aveugle qui ne
laissait pas présager d’une bonne issue.
Nous fûmes tous pris de court lorsque, au huitième matin, un
hurlement d’horreur retentit, résonnant dans les couloirs de l’hôtel. Je
remontais d’une baignade matinale et me mis à courir sans réfléchir en
direction du cri. La porte du Docteur Singh était entrouverte et je me
précipitais à l’intérieur. Une femme de chambre replète se tenait, tremblante,
dans l’encadrement de la porte de la salle de bain, et sursauta lorsque je
m’approchais d’elle, s’effondrant dans mes bras. Par-dessus son épaule,
j’aperçus la source de son émoi : le corps sans vie du Docteur Singh était
étendu au sol dans une mare de sang. L’horreur me serra la gorge, et je
reculais précipitamment, entraînant avec moi la pauvre employée traumatisée.
C’est une fois dans le couloir, alors que je regardais désespérément de chaque
côté, que je notais un fait surprenant : aucun garde n’était présent.
J’abandonnais là la lingère en pleurs et descendais les
escaliers quatre à quatre. Je tombais sur Olena la première, et lui saisissais
les mains, tremblante :
« Olena, il est arrivé malheur au Docteur
Singh ! »
Elle me dévisagea sans un mot, un sourcil dressé, son regard
froid me transperçant.
« Je ne comprends pas. »
« Il est mort ! Je l’ai vu de mes propres
yeux, allongé dans un bain de sang, dans sa chambre ! »
A ces mots, elle pâlit, et s’évanouit dans mes bras.
Je ne sais pas vraiment comment la nouvelle se propagea aux
deux autres membres restants de notre équipe, mais ils finirent par nous
rejoindre dans la salle du dîner, Olena et moi, les traits tirés et le regard
hagard. Il n’était plus question pour moi d’imaginer l’Ukrainienne coupable,
mais un nouveau mystère planait désormais sur notre groupe. Et où étaient donc
passés nos geôliers ?
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