C'est parti pour le #DefiMarathon de Vicky Saint-Ange ! Les contraintes sont les mêmes que pour le #DefiSprint, mais nous avons une semaine pour chacune, 1000 mots minimum, et pas d'obligation de validation. Avoir fait le Défi Sprint est clairement un avantage au sens où je me suis organisée pour tout le défi en amont. J'essaye aussi d'aborder les contraintes différemment. Pour le Jour 1 du Défi Sprint, j'avais écrit environ 100% de description sur mon texte. Ici, j'ai essayé de les saupoudrer avec plus de pertinence (j'espère). - Chapitre 1 /1420 mots
Le dîner
Nous étions 5 à dîner ce soir-là. Y’en avait-il d’autres
d’invités, avaient-ils choisi de prendre le risque de ne pas venir, ou bien
étions-nous les seuls, nous ne le saurions jamais. Toujours est-il qu’un salon
privé du Four Seasons Gresham Palace de Budapest nous avait été réservé, et le billet
d’avion avait été inclus avec le message, ce qui signifie que notre hôte, à
l’identité toujours mystérieuse, avait des moyens conséquents.
L’hôtel, bâtiment du début du XXème siècle dont la façade
présente un savant mélange de style néoclassique mixé d’Art Nouveau. A
l’intérieur, entre vitraux, bronzes, mosaïques et escalier monumental, tout
respire le luxe.
Le maître d’hôtel qui nous accueille à l’entrée, tout en
livrée et gants blancs, nous guide vers la salle de réception Andrássy, où de
longs chandeliers de perles s’écoulent de plafonds hauts. Malgré l’immensité de
la pièce – 157m², m’indique poliment le majordome -, les tons chauds du plafond
et des murs lui confèrent une atmosphère intimiste.
La salle était partiellement coupée par de grands rideaux
occultants noirs, nous isolant du reste de l’hôtel. Malgré tout, l’espace était
terriblement grand pour n’être actuellement occupé que par cinq personnes, qui
se regardaient toutes en chien de faïence.
Je fus la première à briser le silence. Il faut dire que
j’étais plus curieuse qu’apeurée, persuadée que nous étions juste les victimes
de la farce d’un vieux milliardaire excentrique. M’éclaircissant la gorge pour
attirer sur moi le regard des quatre autres protagonistes de ce qui s’annonçait
comme un étrange dîner, je demandais, en français :
« Avons-nous tous reçu le même courrier ? »
Puis je répétais la même question en anglais, pour bien être
sûre de me faire comprendre :
« Did we all receive the same letter ? »
Lorsque je fus bien sûre qu’ils m’accordaient tous leur
attention, j’entamais ma lecture.
« Chère Mademoiselle Delacroix,
Vous êtes cordialement invitée à dîner le 23 juin 2019 dans
la salle Andrássy de l’hôtel Four Seasons qui occupe actuellement le magnifique
Palais Gresham, à Budapest. Vous trouverez ci-joint un billet d’avion aller.
Une chambre vous sera attribuée sur place pour le temps de votre séjour, qui
sera de deux semaines, au terme desquelles vous mourrez. Je vous invite
fortement à ne pas prendre le risque d’ignorer mon invitation.
Au plaisir de vous rencontrer »
Le frisson qui me parcourut à la fin de la lecture était
toujours le même depuis six mois que j’avais ouvert l’enveloppe contenant cette
étrange lettre, et la sensation se faisait étrangement familière. J’avais à
peine commencé à traduire les premières lignes que l’homme le plus proche de
moi, un sexagénaire avec des moustaches en guidon de vélo, un veston, une
montre à gousset et un monocle m’interrompit, dans un anglais approximatif
mâtiné d’un accent que je peinais à placer.
« I think the letter is the same. Please, young lady,
look at mine. »
Je lui souris, et pris le document qu’il me tendait,
parcourant la feuille rapidement. Le papier était en effet le même, dans les
tons de crème, avec un filigrane à la dorure en en-tête, une écriture manuscrite
toute en courbes et déliés, une calligraphie qui traduisait l’aisance. Et une
absence frappante de signature. La lettre était écrite en anglais, contrairement
à la mienne, qui était rédigée en français et, pour autant que je puisse le
dire, aucune des deux ne contenaient de fautes.
La comparaison permit de délier les langues des autres personnes
présentes dans la salle. Nous avions tous reçu la même missive, à peu près au
même moment, délivrée par coursier à notre domicile. C’était bien là la seule chose
qui nous rassemblait. Pour tout le reste, nous étions tous différents et uniques,
et passâmes un long moment à comparer nos histoires de vie pour nous en
assurer.
Ayant été la première à briser la glace entre nous, je
commençais tout naturellement le tour de parole, alors qu’un ballet de serveurs
se déroulait à côté de nous, le personnel de l’hôtel navigant en toute discrétion
pour dresser une table de cinq couverts dans la salle où nous nous trouvions.
Je relevais leur manège du coin de l’œil, décidant de les
ignorer pour le moment, alors que mon auditoire était suspendu à mes lèvres.
Issue de parents modestes et aimants, un plâtrier-peintre
pour une grosse entreprise de BTP et une institutrice, j’étais née le 11
juillet 1983 à la maternité de Nantes, au cœur d’une violente canicule qui
pousse ma mère à m’appeler Hélène, prénom dont l’étymologie remonterait au mot
grec signifiant « chaleur ». Enfant
unique, je n’étais pas pour autant choyée : le penchant de mon père pour l’alcool
empirait avec les ans, entraînant petit à petit ma mère dans une dépression dont
elle ne sortirait jamais.
Mon père a tué ma mère, et la cirrhose a tué mon père. A 23
ans, je me retrouvais orpheline, cumulant les petits boulots pour payer des études
en lettres modernes qui ne me serviraient jamais. Je tombais amoureuse de mon
professeur à l’université, et après une relation houleuse de six mois, m’enfuyais
avec son frère, de dix ans plus jeunes que lui. Nous avons vécu d’amour et d’eau
fraîche pendant 2 ans, avant qu’il ne décampe du jour au lendemain. Seule dans
une ville inconnue, je me fis prendre en pitié par ma logeuse, une vieille
fille qui avait 3 chats et pas d’enfants. Elle avait ouvert un salon de thé
pour lequel elle cuisinait tous les soirs de délicieux gâteaux, et m’enseigna
avec gentillesse et patience l’art de la pâtisserie. Je me mis à l’accompagner
tous les jours au travail, servant les clients, faisant la poussière, mettant
sans m’en rendre compte une touche de modernité au lieu. C’était un minuscule
bâtiment en plein centre-ville, coincé entre une salle de sports et une
supérette franchisée. La peinture de la façade, usée par le temps, s’écaillait,
l’enseigne « Au Chat Ronronnant » déjà presque illisible. Les vitres
étaient grisées par la pollution, des rideaux en velours rouge lourds de
poussière encadrant les huisseries qui auraient eu grand besoin d’être rafraîchies.
Malgré tout, avec ses fauteuils élimés confortables autour
de petite tables rondes chinées et sa porcelaine à fleurs désuette, le lieu
avait son charme. Des odeurs de thé, de fleurs et d’agrumes flottaient en
permanence dans l’air, et les douceurs confectionnaient la veille trônaient
dans des vitrines joliment éclairées.
Désireuse d’apporter ma contribution, j’avais convaincu la
propriétaire de fermer une journée, me débarrassant des rideaux et donnant un
coup de peinture à tout ce qui m’était accessible. Achetant à un vieux tapissier
du coin un assortiment de coussins dont il souhaitait se débarrasser et qu’il me
céda à très bon prix, je profitais de la luminosité en vitrine pour créer un
coin cosy, rajoutant une petite bibliothèque remplie de livres de poche écornés
récupérés en brocante.
Le succès du lieu fut quasi immédiat et, pendant 8 ans, je
fus l’adjointe de Mme Garcia, bien plus que sa locataire ou son employée. Elle
était désormais décédée depuis 2 ans, et j’avais eu la surprise de découvrir qu’elle
m’avait cédé le salon de thé et toute sa – maigre – fortune dans son testament.
J’avais rebaptisé le lieu « La dame aux chats » en
son honneur, et c’est là que le coursier m’avait trouvée avec sa lettre mystérieuse.
J’avais pris tout d’abord l’invitation pour une campagne de publicité quelconque,
ou pour l’idée abracadabrante d’un client. Certains venaient parfois me trouver
pour organiser des chasses au trésor ou de grandes parties de jeu dans la
ville, et la missive collait parfaitement à l’ambiance de certains de ces
événements.
Je passais une semaine à questionner l’ensemble de mes habitués
sans succès, avant de me résigner à contacter la compagnie aérienne pour me renseigner.
Je découvris avec surprise que le billet d’avion m’était bien réservé, en première
classe, le 23 juin à 9h15 en partant de Roissy Charles de Gaulle. Je réfléchis
longuement aux options qui se présentaient à moi : ignorer purement et
simplement le courrier – que pouvait-il bien m’arriver ? – ou bien jouer le
jeu et vivre une aventure. Je ne connaissais pas Budapest, n’étais même jamais
sortie de la France, n’avais jamais pris l’avion. Je ne croyais pas un instant
aux menaces de mort figurant dans le courrier.
Ma décision prise, je posais le 18 juin une pancarte annonçant
la fermeture pendant 15 jours du salon de thé dès le 22, remplissais rapidement
un sac de voyage, et me payais un billet de train en partance pour Paris aux premières
heures du 23 juin.
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