710 mots
Lorsqu’elle avait reçu la lettre, elle n’en avait pas cru
ses yeux. Avec un père banquier et une mère à la tête d’une franchise de
restaurants gastronomiques, elle avait vécu la première décennie de sa vie dans
une bulle privilégiée, première de sa classe dans une école privée qui enseignait
le latin et les règles de savoir-vivre en société dès la primaire. Elle s’ennuyait,
mais ne s’était jamais plainte : cela fait mauvais genre, lui avait dit la
nounou quand elle avait 3 ans.
Mais le courrier était arrivé, le jour de ses onze ans, chamboulant
son existence. Ses parents étaient dévastés, et avaient bien tenté de protester
et de refuser, mais, pour la première fois de sa vie, elle s’était campée
fermement devant eux, ses points fermés sur ses hanches, et avait haussé le
ton. S’ils l’aimaient, ils la laisseraient partir, accomplir son destin dans un
nouveau monde, loin d’eux. Après de longs débats, ils avaient acquiescé.
C’était désormais le jour J, et elle était dans le hall de
la gare, émerveillée par l’effervescence qui régnait dans le bâtiment, une main
fermement agrippée à ses bagages, l’autre dans la main de sa mère qui lui
serrait les doigts nerveusement, jetant des regards inquiets autour d’elle.
« Je ne comprends pas. Ton train n’est pas indiqué sur
le panneau d’annonces. Redonne-moi ton billet. »
Elle sortit le précieux ticket de sa poche, ainsi que la lettre,
relisant soigneusement les instructions calligraphiées par une main soigneuse,
s’efforçant de laisser son admiration pour les pleins et déliés de côté pour se
concentrer sur le message.
« Peut-être devrions-nous demander à l’accueil ? »,
marmonnait sa mère, cherchant nerveusement à se repérer dans cet espace qui lui
était tout sauf familier.
Elle continuait à scruter son billet, persuadée que les
réponses s’y trouvaient, quand la voix d’un garçon tout proche d’elle attira
son attention.
« Papa, Dylan, Ellie, dépêchez-vous ! Je ne veux
pas rater mon train pour le premier jour d’école. Accélérez ! »
Elle leva la tête et, remarquant l’accoutrement étrange du
garçonnet, tira sur la main de sa mère.
« Suivons-les ! »
Sa mère était vraiment perturbée, car elle se laissa faire
sans sourciller, lui emboîtant le pas tout et se faufilant entre les passants d’un
pas rapide.
Sans vraiment comprendre comment, elles se trouvèrent face à
un train immense, sur un quai bondé de gens aux vêtements bariolés. Elle
sourit, son stress s’envolant instantanément. Elle était à sa place ici.
Jetant un regard à l’adulte qui lui serrait toujours les
doigts, elle réalisa à quel point sa mère, elle, était hors de son élément, et
elle se jeta dans ses bras pour la serrer fort contre elle.
« Ne t’en fais pas, maman. Tout ira bien. Je vous
écrirai, à papa et toi. »
Sa mère lui sourit, et déposa un baiser sur son front. Elles
restèrent un moment encore enlacées, puis se détachèrent d’un commun accord.
Après un dernier mot d’adieu, elle empoigna sa valise et monta dans le train,
le cœur battant.
Avisant un compartiment vide, elle s’installa, regardant par
la fenêtre. Le garçon qu’elle avait suivi était là, saluant sa famille avec
effusion, visiblement excité par son départ.
Elle sourit, l’observant un moment, son émoi intérieur le
parfait reflet de l’enthousiasme dont elle était témoin.
Une sonnerie retentit, et le gamin écarquilla les yeux, se
précipitant à bord. Quelques instants plus tard, le train démarrait et l’enfant
la rejoignait dans son compartiment, un sourire timide sur les lèvres
maintenant qu’il n’était plus en présence de sa famille. Il s’installa face à
elle, et après quelques minutes à se dévisager, les langues se délièrent.
Elle était impatiente de commencer sa nouvelle vie. Lissant
la lettre qu’elle tenait encore sur ses genoux, elle la relut une dernière fois.
« Bozust
Ecole de clowns et pitrerie
Mademoiselle,
Nous avons le plaisir de vous informer que vous bénéficiez d’ores
et déjà d’une inscription à Bozust, la grande école de clowns et pitrerie. Vous
trouverez ci-joint la liste du matériel nécessaire au bon déroulement de votre
scolarité.
Vous trouverez ci-joint un billet de train et des instructions
pour votre arrivée dans notre établissement.
Au plaisir de vous voir dès le 1er septembre,
Votre dévoué directeur,
Pierrot dell’Arte »
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