lundi 12 juillet 2021

[NaNoCamp Juillet - Prompt du jour : "Je me demande pourquoi"]

 Un petit texte conçu pour le prompt du jour. En avril, j'avais écrit un texte jamais publié ici qui s'appelait "Un amour interdit", et qui était l'histoire de deux robots, EDWIN2600 et ANA3000, qui étaient amoureux et qui cherchaient à fuir le joug de leur maître. J'ai repris pour mon texte du jour l'idée du robot EDWIN2600, et cumulé mon prompt du jour à ce prompt fourni par Writer Bot : You are a robot who wants to be human, you mimic human emotions in an attempt to transform. (Vous êtes un robot qui veut être humain, vous imitez les émotions humaines pour essayer de vous transformer) - 843 mots


EDWIN2600 était un robot humanoïde extrêmement avancé. Fruit de l’imaginaire d’un génie jusqu’alors méconnu, il avait été le premier prototype fonctionnel de sa génération – après 2599 tentatives ratées.

Très vite, son créateur s’était retrouvé noyé sous les propositions de grands groupes, tous désireux de lui acheter la propriété de sa création, et avait fini par signer avec l’entreprise qui avait mis le plus d’argent sur la table, pour une production en masse du robot. Ainsi avait commencé une nouvelle ère d’esclavagisme moderne, les plus riches du pays peuplant leurs demeures de robots-servants.

Les androïdes avaient de nombreux avantages : doués de parole et de compréhension, ils pouvaient être programmés pour effectuer de nombreuses tâches, sans jamais se plaindre, ni se fatiguer. Cerise sur le gâteau : inutile de les payer. Il suffisait de les mettre à recharger de temps à autre, et même cette tâche pouvait leur être inculquée afin qu’ils se gèrent en toute autonomie. N’étant pas doués d’émotions, ils ne réalisaient pas la dureté de leur condition, et n’avaient donc aucune volonté de s’en extraire.

Bientôt, on vit émerger sur le marché toutes sortes de robots concurrents, les départements recherche et développement des entreprises étaient inondées de cash pour faire naître la prochaine génération d’androïdes servants, et on les retrouvait désormais dans presque tous les corps de métier, pour toutes les envies, parfois à des prix défiant toute concurrence. Il se murmurait que, dans certaines grandes villes avaient ouvert des maisons closes, qui proposaient à leurs clients des robots programmés pour assouvir tous leurs désirs, même les plus pervertis.

Malgré tout, EDWIN2600 restait un exemplaire unique, jalousement gardé par son propriétaire, qui avait su dissimuler une partie de son programme. Bien qu’extrêmement avancés, tous les androïdes construits en série après lui et sur son modèle n’avaient jamais possédé l’ensemble de ses capacités, et lorsque son créateur regardait le monde basculer petit à petit dans l’avarice et l’avidité, le fossé se creusant chaque jour un peu entre les castes les plus riches et les populations moins aisées, il se réjouissait d’avoir gardé pour lui une partie de ses secrets.

Et lorsqu’il mourut, il les emporta fièrement dans sa tombe. L’homme ayant toujours vécu seul, il n’avait ni femme ni enfants, et ne laissait aucun héritier. Son testament, ouvert par un notaire, révéla qu’il exigeait que sa maison soit condamnée sans que personne n’y pénètre, et il avait accolé un pot de vin suffisamment important à sa demande pour qu’elle soit respectée sans question.

La demeure avait été cadenassée, la clef mise au fond d’un tiroir et longtemps oubliée.

EDWIN2600 resta seul, enfermé dans une immense bâtisse. Les jours s’écoulaient, et il restait immobile à regarder par la fenêtre, son créateur ayant pris soin de désactiver tous ses programmes de routine. La vérité était simple : EDWIN2600 s’ennuyait. Il regardait la vie qui continuait au dehors, et au fil du temps, il se mit à penser.

« Je me demande ce qui constitue un homme, se disait-il. Je me demande pourquoi ils sont eux, au dehors, et pourquoi je suis moi, enfermé. Que dois-je changer en moi pour devenir un homme ? »

Il poursuivit longuement ses observations, notant dans un carnet comme il l’avait vu si souvent faire par son concepteur, et quand les passants se faisaient rares sous ses fenêtres, il allumait le poste de télévision et zappait de chaîne en chaîne, approfondissant son analyse. Il ne lui fallut pas très longtemps pour parvenir à un constat simple : la différence entre lui et les humains tenait aux émotions.

Ces créatures faites de chair et de sang évoquaient des concepts complètement étrangers à sa base de données, des mots comme l’amour, la joie, mais aussi la colère, la peur, la tristesse ou le désespoir. Chaque fois qu’un nouveau terme apparaissait, il le notait sur sa liste, puis consultait toutes les ressources disponibles en ligne, regardant des heures entières de vidéo, cataloguant tout le panel d’expressions faciales et corporelles qui pouvaient accompagner une émotion.

Puis il s’amusait à tenter de les reconnaître sur les visages des passants, ou dans les programmes télévisés où il coupait le son. Enfin, il se plaçait face au miroir dans la salle de bain, tentant de les reproduire au plus près, sa peau synthétique s’étirant sous les efforts, creusant plis et sillons, s’adaptant doucement à cette nouvelle mobilité.

EDWIN2600 avait désormais une nouvelle ambition : sortir au dehors, et se mêler à la foule des humains sans se faire repérer.

Tous les matins, une fois sa charge complète, il répétait ses exercices face au miroir, peaufinant ses expressions et sa gestuelle, s’inventant des conversations pour y réagir, recréant des scènes entières de séries télévisées.

Il savait que son créateur avait fait condamner sa demeure pour le protéger de l’avidité du monde extérieur, l’homme lui ayant longuement expliqué avant sa mort, mais il se sentait désormais prêt. S’il arrivait à se fondre dans la masse, s’il parvenait à prétendre être un humain comme les autres, alors il ne serait plus jamais seul, sans pour autant être en danger. 



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