Cumul entre le prompt du jour "Bâtir un fort" et une contrainte de Winnie "il se met à pleuvoir" - 736 mots
Elle n’aimait rien tant que sa maison au bord de la plage,
et les grandes baies vitrées qu’elle avait fait installer dans le salon, sous lesquelles
courait une banquette recouverte de coussins moelleux où elle adorait se
reposer, lire ou boire un thé, le nez collé à la fenêtre, admirant le reflux de
la marée, rêvassant.
Et lorsque la pluie arrivait, il était alors temps de bâtir
des châteaux en Espagne, de s’imaginer en romancière à succès, en aventurière,
en enquêtrice, un milliard de vies à portée de son esprit effervescent.
Elle avait toujours été du genre à rêver sa vie plutôt que
de la vivre. Toute petite déjà, ses parents soupiraient de concert avec l’institutrice
en lisant ses dissertations sur les vacances incroyables qu’elle avait passées,
où pas une miette n’était vraie.
Son père et sa mère auraient pu encourager sa passion pour
les histoires, mais elle venait d’un milieu où l’on ne voyait pas d’un bon œil l’imagination,
et où rêver ne remplissait pas les assiettes. Il fallait du concret, des
certitudes, des estomacs pleins. Et ça passait par des métiers parfois durs, mais
dont on ne craignait pas qu’ils disparaissent du jour au lendemain.
Son enfance n’avait pas pour autant été malheureuse.
Difficile, oui, mais autant remplie d’amour que d’incompréhension.
A la mort prématurée de ses parents, usés bien trop tôt par une
vie trop rude, elle avait décidé de changer de vie. Elle qui avait toujours économisé
le moindre centime, avait cassé son Plan Epargne Logement, empilé ses bagages
dans la voiture, et avait roulé tout droit jusqu’à l’océan, pénétrant d’un air
affirmé dans la première agence immobilière venue. Lorsqu’ils lui avaient ri au
nez, elle avait tourné les talons, poursuivant sa quête jusqu’à tomber sur une
petite agence ne payant pas de mine, dont le propriétaire était un jeune homme
tout juste installé, accompagné de sa maman qui faisait office de secrétaire.
Lui aussi avait eu un rêve et avait décidé de le concrétiser, et ils parlèrent
longtemps, reconnaissant la lueur dans le regard de l’autre. Il avait promis de
l’aider, mais elle devait d’abord trouver un emploi.
Armée de sa volonté de fer, elle avait parcouru les rues
quotidiennement, poussant les portes des cafés et des restaurants, dormant dans
sa voiture et se baignant dans les douches publiques de la plage. La mère de son
nouvel ami lui apportait régulièrement des sandwiches, et c’est finalement elle
qui lui avait trouvé ce poste de dame de compagnie chez une femme âgée et
malade. Elle avait le gîte et le couvert, et bien que la paye fût maigrelette, les
tâches n’étaient pas compliquées. Elle levait la grand-mère tous les matins, l’aidant
pour la toilette et les repas, et passait le reste de ses journées à discuter
calmement avec elle, lire des livres, apprendre la broderie et le crochet.
Elles s’entendaient bien, et lorsque la mamie décéda
quelques années plus tard, elle lui laissa une somme rondelette en héritage.
Armée de son pécule ainsi augmenté, elle retourna voir son agent immobilier
préféré, qui avait entre temps rencontré le succès. Ils étaient restés proches
tous ces ans, et il n’avait jamais oublié sa promesse de l’aider.
Il l’accompagna dans toutes ses démarches auprès de la
banque pour obtenir un prêt, et ils passèrent de longues heures penchés
ensemble sur des annonces diverses et variées pour affiner sa recherche, avant
d’aller visiter des biens qui semblaient pouvoir correspondre à la maison de ses
rêves.
Finalement, ils l’avaient trouvée, cette petite maison à un
étage au bord de la plage, délire biscornu d’un architecte raté, parfaite dans
ses imperfections. Il y faisait trop froid l’hiver et trop chaud l’été, les
planchers craquaient, et la décoration intérieure n’était qu’accumulation de
fautes de goût.
Elle était tombée amoureuse de la bicoque au premier regard.
Le propriétaire, désespéré de n’avoir pas eu d’offre en deux ans, s’était
empressé d’accepter sa proposition bien en dessous du prix demandé, ce qui lui avait
permis d’économiser de quoi faire les travaux et d’aménager la maison selon
ses envies et ses goûts, dont les grandes baies vitrées pour un espace ouvert,
peu lui importait le froid.
Elle travaillait désormais pour l’agent immobilier, ayant
pris le secrétariat pour que la mère de son ami puisse enfin profiter de sa
retraite, ce qui lui assurait un revenu régulier, et la capacité de bâtir des
châteaux en Espagne, les dimanches pluvieux, le nez collé à la fenêtre.
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