Texte du jour sur le prompt du jour : "à la manière de". Très librement interprété d'une narration à la manière d'un film noir, avec un twist. 744 mots
Je louais un bureau vers les docks. Une pièce grise et terne
au-dessus d’une vieille gargote, les lettres de mon nom collées à la porte. Les
gars qui traînaient dans le coin n’étaient pas du genre curieux, et même si la
plupart d’entre eux étaient des loubards à la petite semaine, je détournais les
yeux de leurs affaires et ils ne mettaient pas le nez dans les miennes.
Des gars de la ville cherchaient à me faire tomber depuis
bien longtemps, désapprouvant mon mode de vie, mais la loi d’ici n’était pas la
leur, et je me gardais bien de marcher sur leurs plates-bandes.
Je m’apprêtais à quitter les lieux ce soir-là, écrasant ma
clope dans le cendar qui débordait, quand une pépette débaroula en panique, ses
grands yeux bleus remplis de larmes. La pépée n’avait pas daigné toquer, ce qui
m’avait mis la puce à l’oreille direct, et elle secoua ses longues boucles
blondes en se jetant à mes pieds.
Elle était dans de sacrées embrouilles, me dit-elle, et
avait entendu parler de moi par le frère d’un ami de son cousin, un truc assez
flou et compliqué pour que je m’embrouille. Elle jouait de ses formes, et je
rentrais dans le jeu, suffisamment pour qu’elle y croie, sans vraiment me
compromettre.
Faut dire qu’elle était douée, quand même, la gamine, pour
faire couler les larmes sur ses joues rondes, et sans faire baver son mascara.
Je tirais un mouchoir de ma poche et lui tendais, passant une main autour de sa
taille pour la poser sur sa hanche, suffisamment bas pour qu’elle le remarque,
sans pour autant risquer de m’attirer les ennuis. Si elle voulait jouer, on
allait jouer.
Elle me sortit son histoire alambiquée et parfaitement
répétée, poussant des soupirs là où il fallait, pressant son petit corps chaud
contre le mien, ses longs doigts manucurés posés délicatement sur ma cuisse.
Je gardais la mine impassible, hochant la tête, faisant mine
d’écouter. Elle était subtile, la petite, mais pas aussi maligne qu’elle le
pensait. Sa tirade interrompue, je posais quelques questions. Le doute était clair
dans ses yeux, mais elle fit de son mieux pour répondre. Je gardais pour moi un
sifflement impressionné.
J’entendais déjà l’agitation du bar quand je la laissais
repartir, non sans qu’elle ait déposé un baiser au rouge à lèvres sur ma joue
mal rasée, murmurant « à bientôt, détective » d’une voix rauque et
aguicheuse. Elle devait en tourner des têtes sur son passage, une pépée bien
roulée comme elle, dommage qu’elle ne soit pas mon type, si vous voyez où je
veux en venir.
J’écartais les lames de mon store pour la regarder malgré
tout partir, ses hanches se balançant fièrement, sa mission accomplie.
Je souris en mon for
intérieur, vidant le cendrier, éteignant les lumières.
Cette nuit, je redoublais de prudence, jetant des coups
d’œil rapides derrière mon épaule à chaque tournant. Il ne fallait pas compter
sur les gars du port pour voler à mon secours en cas d’embrouilles, et je ne
comptais pas me faire pister jusqu’à chez moi. Je suis un privé qui aime garder
sa vie privée. Jeu de mots intentionnel.
Je n’étais pas né de la dernière pluie. Si la minette qui
venait de partir de mon bureau était si douée, qui sait qui ils m’enverraient
la prochaine fois.
C’était usant, à la longue, de vivre sur le qui-vive, et
j’avais beau être un dur à cuire, je ne méritais pas ce qui m’arrivait.
Sans doute viendrait le jour où l’on pourrait être différent
sans se cacher, sans prendre le risque d’être stigmatisé, mais pour le moment,
je restais méfiant et discret.
Parvenu à mon appartement à l’autre bout de la ville,
certain de n’avoir pas été suivi, je déverrouillais rapidement la porte,
refermant chaque loquet derrière moi. Je déposais mes clefs et ma matraque
télescopique dans l’entrée. La règle de la maison était la même depuis le
départ : pas d’armes dans notre sanctuaire. Ôtant mes chaussures et ma
veste dans la foulée, je poussais un soupir d’aise, et passais la porte du
salon, repoussant loin dans mon esprit la pépette blonde payée pour
m’espionner.
Dominique était sur le canapé, ronflant légèrement, un livre
déplié tombé sur sa poitrine, et je souris devant la vision. Soulevant ses
pieds, je m’installais tranquillement. Ses yeux s’ouvrirent doucement et
tombèrent sur moi.
Son sourire valait bien tous les dangers. Ils n’étaient pas
nés ceux qui m’éloigneraient de l’homme de ma vie.
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