Cinquième semaine du Défi Marathon de Vicky Saint-Ange : corriger/éditer son texte de la première semaine, et l'augmenter de 1000 mots.
J'ai rajouté une partie avant, et j'ai affiné/corrigé certaines choses. Pour comparer, la semaine 1 était là. 2507 mots
Je ne pensais pas un jour prendre la plume et écrire mon
histoire. L’histoire d’un cauchemar sur fond de mystère. L’histoire de cinq
destinées entremêlées par l’horreur et la mort. Il n’y a pas de morale à cette
histoire, pas de justice. S’il y en avait une, ce n’est pas de ma plume que
serait signé ce récit. Pardonnez-moi d’avance si je me perds en
circonvolutions, si j’en dis trop, ou pas assez, par moments. Il vous suffira
d’une recherche rapide en ligne pour trouver tous les détails sordides. Ce que
je veux, moi, c’est exorciser, c’est commémorer. C’est rendre hommage.
Je ne crois pas que j’arrêterai un jour de regarder derrière
mon épaule partout où je vais, de trembler de peur en ouvrant mon courrier. On
dit que la foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit : c’est faux.
La foudre est imprévisible, elle peut tomber partout et n’importe où, au même
endroit ou non. Rien n’empêche la foudre de tomber, pas même un paratonnerre.
Il limite juste les dégâts.
Ma paranoïa est désormais mon paratonnerre. Les deux mots
ont le même préfixe, qui en grec signifie « contre », comme
« contre le tonnerre » ou bien « à côté de », comme le
paranoïaque, littéralement « à côté de l’esprit ». Et pourtant, je
défie quiconque de définir ma méfiance comme irrationnelle, comme la
manifestation d’une démence. Je ne suis à côté de rien, ni de mes pompes, ni de
la plaque. Bien au contraire, j’ai l’impression d’avoir été plongée dans une
réalité sordide que même les souffrances de mon enfance ne me l’avaient pas
laissé entrevoir.
J’ai travaillé longtemps avec une psychiatre à tenter de
regagner ma confiance en l’humain, à m’efforcer de dépasser mon traumatisme,
alors même que je me croyais définitivement brisée. Puis j’ai réalisé que je
n’étais pas cassée, mais que j’avais un excellent instinct de survie. Né du fin
fond des enfers, soit, mais désormais bien présent. Ma vie ne sera plus jamais
la même. Les blessures de l’âme mettent bien plus longtemps à guérir que les
blessures physiques, mais peut-être y arriverai-je un jour. Peut-être que vous
raconter mon histoire va m’aider.
Je me suis longtemps demandé ce qui m’avait poussée à
prendre l’avion, ce dimanche 23 juin 2019. J’avais déjà vécu une vie si
douloureusement intense, et j’avais enfin trouvé l’équilibre et la paix.
Pourquoi tout risquer ? Je n’avais pas peur de la menace voilée. Les
prémisses de la lettre étaient d’ailleurs bancales dès le départ : que
l’on accepte l’invitation ou non, l’issue était néfaste. Venez et vous mourrez.
Ne venez pas, et il vous arrivera quelque chose de bien pire. Pire que la
mort ? J’aurais pu en trembler d’effroi. La vérité, c’est qu’une partie de
moi n’a jamais réellement envisagé d’ignorer la requête du mystérieux inconnu.
J’ai longuement envisagé que ce ne soit qu’un spam, une farce idiote, mais je
n’ai jamais considéré la menace en tant que telle. Je ne sais pas ce que ça dit
de moi.
Je me rappelle avoir cherché sur internet l’existence
d’autres destinataires, mais je n’ai rien trouvé. Je n’ai pas non plus songé à
laisser moi-même une trace au cas où quelqu’un ferait la même recherche que moi
plus tard. C’est encore un mystère supplémentaire. J’imagine que j’étais trop
happée par l’aventure pour faire appel à mon bon sens. Le web n’existait pas à
l’époque d’Agatha Christie, après tout.
Toujours est-il que j’ai passé de longues journées à me
demander si d’autres personnes avaient été comme moi invitées, à quoi elles
ressembleraient, quelle serait leur histoire de vie. Je me suis aussi efforcée
d’imaginer mon hôte. Rien de tout cela ne m’a préparée à la brutale réalité. Je
ne sais pas si je découvrirai un jour une personne qui a reçu la lettre et
n’est pas venue. Si vous existez, si vous me lisez, contactez-moi. J’ai
beaucoup de questions et pas assez de réponses.
C’est la première pensée qui m’avait frappée à mon arrivée à
l’hôtel, lorsque j’avais débarqué, conduite par un majordome à la mâchoire
carrée et à la silhouette fine et dynamique dans la salle où les dîneurs
étaient rassemblés. Nous étions cinq personnes : trois femmes et deux
hommes. Les cinq élus dans ce salon privé du Four Seasons Gresham Palace de
Budapest qui nous avait été réservé.
Chacun d’entre nous avait reçu un billet d’avion
accompagnant la lettre, peu importe notre situation géographique de départ :
notre hôte, quelle que soit son identité, avait des moyens conséquents.
L’hôtel, bâtiment du début du XXème siècle dont la façade
présente un savant mélange de style néoclassique mixé d’Art Nouveau. A
l’intérieur, entre vitraux, bronzes, mosaïques et escalier monumental, tout
respire le luxe.
Le même maître d’hôtel nous avait accueillis à l’entrée,
tout en livrée et gants blancs, pour nous guider vers ce même espace, la salle
de réception Andrássy, où de longs chandeliers de perles s’écoulent de plafonds
hauts. Malgré l’immensité de la pièce – 157m², comme m’avait indiqué poliment
le majordome en réponse à ma question -, les tons chauds du plafond et des murs
lui conféraient une atmosphère intimiste.
La salle était partiellement coupée par de grands rideaux
occultants noirs, nous isolant du reste de l’hôtel. Malgré tout, l’espace était
terriblement grand pour n’être actuellement occupé que par cinq personnes.
J’étais la dernière débarquée, et tous se regardaient en chien de faïence,
incertains de la conduite à tenir.
Je fus la première à briser le silence. Il faut dire que
j’étais plus curieuse qu’apeurée, encore alors persuadée que nous étions juste
les victimes de la farce d’un vieux milliardaire excentrique. M’éclaircissant
la gorge pour attirer sur moi le regard des quatre autres protagonistes de ce
qui s’annonçait comme un étrange dîner, je demandais, en français :
« Avons-nous tous reçu le même courrier ? »
Puis je répétais la même question en anglais, pour bien être
sûre de me faire comprendre :
« Did we all receive the same letter ? »
Lorsque je fus bien sûre qu’ils m’accordaient tous leur
attention, j’entamais ma lecture.
« Chère Mademoiselle Delacroix,
Vous êtes cordialement invitée à dîner le 23 juin 2019 dans
la salle Andrássy de l’hôtel Four Seasons qui occupe actuellement le magnifique
Palais Gresham, à Budapest. Vous trouverez ci-joint un billet d’avion aller.
Une chambre vous sera attribuée sur place pour le temps de votre séjour, qui
sera de deux semaines, au terme desquelles vous mourrez. Je vous invite
fortement à ne pas prendre le risque d’ignorer mon invitation.
Au plaisir de vous rencontrer »
Le frisson qui me parcourut à la fin de la lecture était
toujours le même depuis six mois que j’avais ouvert l’enveloppe contenant cette
étrange lettre, et la sensation se faisait étrangement familière. J’avais à
peine commencé à traduire les premières lignes que l’homme le plus proche de
moi, un sexagénaire avec des moustaches en guidon de vélo, un veston, une
montre à gousset et un monocle m’interrompit, dans un anglais approximatif
mâtiné d’un accent que je peinais à placer.
« I think the letter is the same. Please, young lady,
look at mine. »
Je lui souris, et pris le document qu’il me tendait,
parcourant la feuille rapidement. Le papier était en effet le même, dans les
tons de crème, avec un filigrane à la dorure en en-tête, une écriture
manuscrite toute en courbes et déliés, une calligraphie qui traduisait
l’aisance. Et une absence frappante de signature. La lettre était écrite en
anglais, contrairement à la mienne, qui était rédigée en français et, pour
autant que je puisse le dire, aucune des deux ne contenait de fautes.
La comparaison permit de délier les langues des autres
personnes présentes dans la salle. Nous avions tous reçu la même missive, à peu
près au même moment, délivrée par coursier à notre domicile ou sur notre lieu
de travail. C’était bien là la seule chose qui nous rassemblait. Pour tout le
reste, nous étions tous différents et uniques. Il nous faudrait un long moment
à comparer nos histoires de vie pour nous en assurer. A l’époque, nous n’avions
pas réalisé que ce qui nous liait était tout simplement notre destin, et non
pas notre passé.
J’avais été la première à briser la glace entre nous, alors
je commençais tout naturellement le tour de parole, tandis qu’un ballet de
serveurs se déroulait à côté de nous, le personnel de l’hôtel navigant en toute
discrétion pour dresser une table de cinq couverts dans la salle où nous nous
trouvions.
Je relevais leur manège du coin de l’œil, décidant de les
ignorer pour le moment, alors que mon auditoire était suspendu à mes lèvres.
Issue de parents modestes et aimants, un plâtrier-peintre
pour une grosse entreprise de BTP et une institutrice, j’étais née le 11 juillet
1983 à la maternité de Nantes, au cœur d’une violente canicule qui pousse ma
mère à m’appeler Hélène, prénom dont l’étymologie remonterait au mot grec
signifiant « chaleur ». Enfant
unique, je n’étais pas pour autant choyée : le penchant de mon père pour
l’alcool empirait avec les ans, entraînant petit à petit ma mère dans une
dépression dont elle ne sortirait jamais.
Mon père a tué ma mère, et la cirrhose a tué mon père. A 23
ans, je me retrouvais orpheline, cumulant les petits boulots pour payer des
études en lettres modernes qui ne me serviraient jamais. Je tombais amoureuse
de mon professeur à l’université, et après une relation houleuse de six mois,
m’enfuyais avec son frère, de dix ans plus jeunes que lui. Nous avons vécu
d’amour et d’eau fraîche pendant 2 ans, avant qu’il ne décampe du jour au
lendemain. Seule dans une ville inconnue, je me fis prendre en pitié par ma
logeuse, une vieille fille qui avait 3 chats et pas d’enfants. Elle avait
ouvert un salon de thé pour lequel elle cuisinait tous les soirs de délicieux
gâteaux, et m’enseigna avec gentillesse et patience l’art de la pâtisserie. Je
me mis à l’accompagner tous les jours au travail, servant les clients, faisant
la poussière, mettant sans m’en rendre compte une touche de modernité au lieu.
C’était un minuscule bâtiment en plein centre-ville, coincé entre une salle de
sports et une supérette franchisée. La peinture de la façade, usée par le
temps, s’écaillait, l’enseigne « Au Chat Ronronnant » déjà presque
illisible. Les vitres étaient grisées par la pollution, des rideaux en velours
rouge lourds de poussière encadrant les huisseries qui auraient eu grand besoin
d’être rafraîchies.
Malgré tout, avec ses fauteuils élimés confortables autour
de petite tables rondes chinées et sa porcelaine à fleurs désuète, le lieu
avait son charme. Des odeurs de thé, de fleurs et d’agrumes flottaient en
permanence dans l’air, et les douceurs confectionnaient la veille trônaient
dans des vitrines joliment éclairées.
Désireuse d’apporter ma contribution, j’avais convaincu la
propriétaire de fermer une journée, me débarrassant des rideaux et donnant un
coup de peinture à tout ce qui m’était accessible. Achetant à un vieux
tapissier du coin un assortiment de coussins dont il souhaitait se débarrasser
et qu’il me céda à très bon prix, je profitais de la luminosité en vitrine pour
créer un coin cosy, rajoutant une petite bibliothèque remplie de livres de
poche écornés récupérés en brocante.
Le succès du lieu fut quasi immédiat et, pendant 8 ans, je
fus l’adjointe de Mme Garcia, bien plus que sa locataire ou son employée. Elle
était désormais décédée depuis 2 ans, et j’avais eu la surprise de découvrir
qu’elle m’avait cédé le salon de thé et toute sa – maigre – fortune dans son
testament.
J’avais rebaptisé le lieu « La dame aux chats » en
son honneur, et c’est là que le coursier m’avait trouvée avec sa lettre
mystérieuse.
C’était le 22 décembre 2018, dernier samedi avant la
fermeture. Mon petit salon de thé ronronnait gentiment comme un chat roulé en
boule au coin du feu. Des chants de Noël sortaient gaiement des hauts-parleurs,
et une odeur de biscuits chauds, cannelle, orange et cacao, flottait dans les
airs. J’avais le cœur léger et un uniforme de lutin qui faisait sourire tous
ceux qui poussaient la porte. Mon thé préféré, un Oolong aux cinq épices,
réchauffait les plus frileux, tandis que les gourmands s’arrachaient mon
chocolat chaud aux éclats de canne à sucre et ses petits chamallows fondants à
la surface. L’hiver était ma saison préférée, et je n’aimais rien de plus que
répandre la joie à Noël. Je rêvais souvent de tout plaquer et de partir vivre
dans l’une de ces villes qu’on voit dans les téléfilms en décembre, attirée par
les décorations, la neige et l’esprit de communauté bien plus que par les
romances qu’ils dépeignent.
Je n’avais pas spécialement prêté attention au coursier, sa casquette enfoncée
sur son crâne et son uniforme noir. J’avais souri, pris l’enveloppe qu’il me
tendait, signé le reçu, et il était reparti aussi sec alors que je me
concentrai sur la commande en cours. A vrai dire, j’avais même tout oublié de
la missive jusqu’à l’heure de la fermeture. Je prenais quinze jours de congés,
et donc j’effectuais un ménage complet et un grand tri avant de partir, et
c’est comme ça que j’avais retrouvé l’enveloppe, coincée entre le comptoir et
la caisse.
Mon premier instinct à la lecture avait été de la jeter,
mais ma curiosité avait pris le pas. Ça ressemblait un peu au point de départ
d’un roman d’Agatha Christie, une autrice dont j’avais dévoré tous les ouvrages
avec avidité. J’avais glissé la lettre dans mon sac, fermé le salon de thé, et
grimpé les escaliers quatre à quatre jusqu’à mon petit appartement juste
au-dessus.
Je me rappelle m’être
demandé si ce n’était pas une invitation pour une campagne de publicité
quelconque, ou pour l’idée abracadabrante d’un client. Certains venaient
parfois me trouver pour organiser des chasses au trésor ou de grandes parties
de jeu dans la ville, et la missive collait parfaitement à l’ambiance de
certains de ces événements.
À mon retour de congés, je passais plusieurs semaines à
questionner l’ensemble de mes habitués sans succès, avant de me résigner à
contacter la compagnie aérienne pour me renseigner. Je découvris avec surprise
que le billet d’avion m’était bien réservé, en première classe, le 23 juin à
9h15 en partant de Roissy Charles de Gaulle. Je réfléchis longuement aux
options qui se présentaient à moi : ignorer purement et simplement le
courrier – que pouvait-il bien m’arriver ? – ou bien jouer le jeu et vivre
une aventure. Je ne connaissais pas Budapest, n’étais même jamais sortie de la
France, n’avais jamais pris l’avion. Je ne croyais pas un instant aux menaces
de mort figurant dans le courrier.
Ma décision prise, les mois suivants m’avaient semblé s’écouler
avec une lenteur insoutenable. Je trépignais d’impatience, ma curiosité me
faisant oublier tout des menaces proférées. Enfin, je posais le 18 juin une
pancarte annonçant la fermeture pendant 15 jours du salon de thé à compter du
22, remplissais rapidement un sac de voyage, et me payais un billet de train en
partance pour Paris aux premières heures du 23 juin.
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