Tu étais là, et soudain, tu as disparu. On ne peut pas dire qu’on a été surpris, non, mais même si on s’en doutait, si on le redoutait, ça nous a tous fait un choc de se dire que, finalement, tu nous avais quittés.
Ce n’est pas faute d’avoir lutté pourtant. D’après moi, tu as même lutté toute ta vie. Rien que d’y penser, j’en ai les larmes aux yeux. Personne ne peut imaginer ce que tu as enduré, du moment où tu es venue au monde jusqu’au moment où tu l’as quitté.
Tu étais si forte et si fragile à la fois. Tu t’étais construite autour d’une fissure béante, qu’on a bien essayé de colmater, avec de l’amour, de l’amitié et des fous rires, mais ce n’étaient que réparations de fortune, le mal était fait. Finalement, il y avait en toi une sorte de compte à rebours, une certitude que tu ne vivrais pas, que tu ne méritais pas l’amour qu’on te portait. Je ne te blâme pas, tu es née sous le sceau de la victime, marquée si profondément en toi que jamais tu n’aurais pu t’en défaire.
Souvent, je me refais le film, je tente de comprendre si tu m’avais laissé des indices, bien avant ce jour-là, si tu attendais de moi quelque chose que je n’aurais pas compris, que j’aurais raté. C’est ridicule, je le sais.
Parfois, si je me concentre fort, j’entends ta voix. J’entends ton rire. J’entends même encore certaines de nos conversations, et ton humour, et les cookies qu’on dévorait devant un thé, et toutes ces fois où je t’ai serrée dans mes bras, vibrant d’un amour débordant pour toi.
J’avais cet espoir fou que ça suffirait. Que si on t’entourait bien, si on te blottissait dans du coton, ça irait. Tu resterais avec nous jusqu’à la fin.
Bien sûr, ça n’était qu’une illusion.
À quoi croire, quand on n’a pas de religion ? Je ne crois pas en Dieu, ni au Paradis, pas tellement à la réincarnation, à l’au-delà, ou je ne sais quoi. Alors quand tu es partie, quand tu nous as quittés, ça semblait si définitif. Et ça l’était. Ça l’est toujours, depuis presque 2 ans. 2 ans pendant lesquels j’ai pensé à toi tous les jours, parfois beaucoup, parfois moins. 2 an à analyser, suranalyser, expliquer, justifier. Une part de moi comprend et accepte ton choix. L’autre part, elle, ne sent que ce vide béant, cette absence de toi qui est si forte et si bruyante qu’elle me coupe le souffle parfois.
Si tu n’es plus sur cette Terre, si tu es partie, répartie au vent, ce jour où je n’ai pas pu venir, alors j’ai envie de me dire qu’une partie de toi s’est transformée en étoile, et que si je lève les yeux au ciel la nuit, je peux te voir et te parler, et tu m’entendras.
Ça ne sort pas du Roi Lion, ce truc-là ? Comme quoi les étoiles sont nos chers disparus ? Si c’est ça, alors tu dois bien te moquer de moi. Et tu aurais raison !
Je sais aussi que la science se moquerait de moi, mais finalement, un peu d’espoir ne fait pas de mal, et si j’ai besoin de ça pour me raccrocher à toi, pour continuer à t’aimer, à te parler malgré ta mort, alors on me pardonnera. Car l’amour, lui, n’est pas mort avec toi.
Et penser aux étoiles, que tu es quelque part, là-haut, ça m’évite aussi de penser à tout ce qui s’est passé, à la fin.
Ce jour où tu m’as appelée, en pleurs, où j’ai senti mon âme se déchirer sous le poids de ta souffrance. Quand je t’ai récupérée pour te ramener chez moi, j’étais intérieurement paniquée. Je savais, au fond de moi, que rien n’adoucirait ta peine, parce qu’on avait planté un couteau en toi, en plein milieu d’une plaie qui ne s’était jamais refermée. Tu n’avais pas les épaules pour supporter ça, alors on a essayé de prendre ta souffrance sur les nôtres, de te porter à bout de bras, mais en toi, déjà, le combat était fini. Le plus dur dans tout ça, c’est qu’il n’y a personne à blâmer. Juste un grand champ de chagrin, dont nous sommes les plants dévastés.
Je me rappelle avoir lancé de la musique, n’importe quoi pour te faire rire, ou sourire, Michel Delpech par exemple, rien que pour que tu puisses te moquer de moi d’être fan de ce chanteur-là. On était sur mon balcon et tu fumais. Alors que tu avais arrêté, mais là, tu en avais besoin. Je me rappelle que je ne voulais pas te ramener, je voulais te garder près de moi, pour te protéger, te surveiller, te bercer, t’apaiser. Tout pour que tu restes là, que tu ne sombres pas. Je t’ai raccompagnée chez toi, et j’ai attendu, qu’un autre prenne le relais. Je crois qu’on avait tous compris, déjà, qu’on ne voulait pas te laisser.
Les jours suivants, j’ai essayé de t’aider, de mettre les choses à plat, de faire appel à la logique, à la raison, aux probabilités. Que tout était fini, mais que tu devrais continuer. Qu’il reviendrait peut-être, plus tard, mais peut-être pas. J’ai joué les médiatrices, parce que je comprenais. Parce que je parlais ton langage et le sien, et que je pouvais traduire, arrondir les angles, adoucir. Sans doute cherchais-je à te préparer à ton pire scénario, et que je ne voulais surtout pas penser au mien.
C’était naïf, et illusoire, peut-être un peu injuste pour toi. Puis d’autres ont pris le relais. On était toute une famille autour de toi, certainement pas liés par le sang, mais liés par un truc bien plus fort et plus réel que ça. Tu nous as tout repoussés. D’un coup, violemment. Il y a eu ce déferlement de colère que tu as rejeté sur nous, ces moments très sombres, les seuls que je voudrais pouvoir oublier.
Tes mots sont restés gravés en moi, douloureux, méchants. Alors j’ai fait la seule chose qui me semblait censée à ce moment-là : m’engueuler avec toi. Je voulais créer un électrochoc, et ce fût le cas. Je ne t’avais jamais vu demander pardon pour quoi que ce soit, avant ce jour-là. Ta maladie faisait paravent, et la souffrance t’avait toujours aveuglée, et je pouvais comprendre ça. Mais pas cette fois-là, parce que c’était bien trop injuste, et que ça venait de quelque part en toi de bien trop sombre, bien trop noir pour vraiment te ressembler. Et tu t’es excusée, et tu m’as dit ces mots qui m’ont brisé le coeur : “Je t’en prie, je ne veux pas te perdre aussi.”
Alors je t’ai répondu. “Ce n’est rien. Je suis ton amie, toujours. Tu ne me perdras pas, et je t’aime.” C’est, plus ou moins, la dernière chose que je t’ai dite. Ça, et “ça prend du temps”.
Ensuite, dans ma tête, c’est un tourbillon noir. Tu as fait exactement ce que tu voulais, comment tu voulais. J’arrive à voir ta stratégie, comment tu nous as manipulés pour être sûre d’arriver à tes fins, et que personne ne t’en empêcherait.
Je me rappelle de ce coup de fil, où l’on m’a annoncée que tu étais partie, que tu nous avais quittés. Le froid qui m’a envahie et cette dissociation, encore : une partie de moi comprenait. L’autre souffrait. Depuis 2 ans maintenant, ces deux parties-là ne se sont jamais réconciliées.
Je ne pensais pas un jour, à pas encore 30 ans, devoir annoncer un décès. Une entrée dans le monde adulte brutale, dont je me serais bien passée. Chercher les mots justes, savoir qu’il n’y en a aucun. Gâcher le dimanche soir en famille de mes amis, tout en sachant que c’était à moi de leur dire, et de le faire maintenant, ne pas leur cacher.
Ce soir-là, on s’est roulés en boule tous les trois sur le canapé, après avoir envoyé les enfants au lit. On était sidérés, perdus, tristes. Endeuillés.
Je me rappelle la visite au funérarium, à trois, nous tenant par la main, osant à peine respirer. Quand je suis passée de l’autre côté du rideau et que je t’ai vue, ta longue chevelure bouclée qu’on avait brossée. Comment mon coeur s’est, encore, brisé sur ce détail. Puis tes funérailles, et nous tous, dans les bras les uns des autres, à pleurer en silence. Il pleuvait, on avait mal. On t’a écrit des mots, et ils t’ont suivie là où tu es allée.
Plus tard, je t’ai écrit une lettre. Je pensais que ça serait la dernière fois que je te parlerais. Mais tu vois, finalement, ce n’est pas le cas. Je crois bien que je ne cesserai jamais de te parler. Parce que je t’aime et que tu me manques, parce que je ne veux pas, je ne peux pas t’oublier.
Alors je sors dans la nuit, et je regarde les étoiles. Et je me dis qu’une partie de toi est là-haut, devenue l’une de ces étoiles, et que tu brilles pour nous dans la nuit noire. Et j’enfouis au fond de mon cœur tous mes souvenirs de toi, les bons, les mauvais, ceux qui me font sourire et ceux qui me font pleurer. Je garde tout ça en moi, bien précieusement. Et puis je me dis que si jamais j’ai une bonne étoile, une qui veille sur moi, autant que ce soit toi.
Et même si on a raté des trucs, comme fêter ensemble nos 30 ans, je suis heureuse de me dire que tu m’accompagnes toujours, au fond de mon cœur, quelque part au milieu des étoiles, et bientôt sur ma peau.
Je voudrais ne pas mettre de point final à ce texte, et continuer à te parler. Mais il faudra bien que je me contente, un jour, de regarder le ciel la nuit, et de continuer mon chemin. Tu es mon étoile, A., et je t’aime. Ne l’oublie pas.