"Ça le tuerait", c'était mon prompt du jour. Je l'ai récupéré de façon très très furtive dans le texte, au point que si vous clignez des yeux au mauvais moment, vous ne le verrez pas passer.
Une fois encore, je partage un fragment de mon NaNo, dans l'univers d'Ethan cette fois-ci. Le texte est la suite de "Les Grands Anciens". Il faudrait que je fasse un meilleur blog pour pouvoir classer les textes par série et dans l'ordre. Oh well, peut-être un jour...
Ce texte, comme le précédent, n'est pas corrigé, il est direct frais du jour et pas relu.
Ethan refit surface plusieurs heures après. Il était visiblement de retour au campement, allongé dans son lit à l'intérieur de sa tente et quelqu'un - Anton, probablement - avait pris le temps de lui ôter ses chaussures et de le couvrir d'une couverture chaude.
Il se sentait mieux, et le cocon douillet dans lequel il était l'invitait à se rendormir pour en profiter encore, mais des voix à l'extérieur attirèrent son attention, lui faisant tendre l'oreille.
Bien que chuchotée, la conversation semblait agitée, presque une dispute.
«Pourquoi n'enverrait-on pas Denys ? Il est parfaitement compétent, habitué à des missions plus risquées, et il maîtrise bien mieux ses tendances pyromanes depuis quelques années !
— Parce que ça pourrait le tuer, bon sang ! Si j'en crois mes lectures, le pouvoir de la pierre est sans égal, et quiconque la manipule s'expose à en être la victime ! »
Ethan identifia la seconde voix comme étant celle de Sparks, en déduisant que la première appartenait à Jared. Il ne comprenait pas la conversation, et était décidé à renoncer à épier pour se rendormir quand une phrase le fit se redresser dans son lit, son attention redoublant.
«Le gamin est spécial. Je ne sais pas comment ni pourquoi, mais le pendule le savait. Si la pierre n'avait pas réagi à sa candidature, jamais je ne l'aurais embauché. C'est un gosse, à peine sorti des études, il n'a jamais rien vu.
— Peut-être aurait-il mieux valu ne pas l'embaucher, ne crois-tu pas, Anton ? te revoilà parti sur les traces de cette chimère, alors que le boulot que l'on fait ici est tout aussi important, et c'est lui qui fait bouillir la marmite ! Ne crois-tu pas qu'il est temps de renoncer, et de retourner à des activités raisonnables ? »
Si Anton répondit, ce fut sur un ton si bas qu'Ethan ne put le saisir. Peu après, les pas s'éloignèrent, et il ne resta que le silence. Le jeune homme se rallongea dans son lit, mais le sommeil le fuyait, son esprit tournant et retournant les propos qu'il venait d'entendre. Il se sentait blessé et trahi : depuis le début, il pensait que Sparks avait vu quelque chose de spécial en lui, et décidé de le prendre sous son aile malgré son inexpérience. Finalement, il s'avérait qu'il avait probablement vu quelque chose de spécial en Ethan mais rien qui ne concerne le métier. Le jeune homme se demandait ce que cela pouvait bien être.
Il se tortura un long moment les méninges avec cette pensée, mais finalement, la fatigue eut raison de lui et il se rendormit profondément.
Ses rêves furent peuplés d'images étranges et terrifiantes. Il retournait sans cesse dans la forêt, entraîné contre sa volonté par une créature féroce prête à le briser en deux. Là, dans la clairière, les ruines d'une cité poussaient, se nourrissant de sa force vitale, le jetant à genoux, tremblant et haletant. De grands êtres squelettiques, presque humains mais immenses, dansaient autour de lui, caressant son visage de leurs longs doigts crochus tandis qu'il hurlait sans qu'un seul son ne sorte de sa bouche.
A chaque fois, le jeune homme se réveillant en sueur, agrippé à ses couvertures, la gorge sèche comme s'il avait hurlé dans ses rêves. Aux premiers rayons du soleil, il rendit les armes et s'extirpa de ses couvertures, sortant de sa tente pour prendre un peu d'air frais.
Face à lui, Denys semblait se lever aussi, et l'homme, un petit brun trapu au visage rubicond et aux cheveux crépus, lui fit un signe aimable avant de l'inviter à venir partager avec lui un café.
Très vite, les deux hommes s'assirent face à face à la table de camping qui leur servait de coin repas, bureau et plateau de jeu, une tasse fumante à la main. Denys avait même mis en route un deuxième réchaud sur lequel crépitait actuellement quelques tranches de bacon, l'odeur emplissant agréablement l'air froid du matin.
«Comment te sens-tu ?, demanda-t-il d'une voix douce à Ethan. Tu as fait une sacrée frayeur au Boss, hier... »
Le jeune homme haussa les épaules, tâchant de rassembler ses pensées avant de répondre. Il savait que Denys était l'un des fidèles bras droits d'Anton, et l'homme s'était toujours montré aimable et attentionné depuis son arrivée, très différent de Jared qui s'était avéré plus hautain et autoritaire. Ethan pensait aussi à la conversation qu'il avait entendue la veille au soir et dont il ne savait pas quoi faire.
Son interlocuteur le fixait toujours, semblant le scruter et lire la moindre des pensées. Finalement, une main calleuse s'abattit sur son avant-bras.
«Ne t'en fais pas, gamin. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé là-bas, mais ça peut arriver à n'importe qui de faire un malaise. Anton ne t'en tiendra pas rigueur et tu auras bien d'autres occasions de faire tes preuves. Hé, même Jared, sous ses airs cassants, est un bon gars. On va reprendre le boulot, sortir ces fossiles de rêves de là, et les ramener précieusement à la Conservhistoire, ok ? Et en attendant, tu vas venir avec moi et on va soigner cette monstrueuse coupure que tu as sur le front avant qu'elle ne s'infecte. »
L'homme lui tapota le bras avant de se reculer sur sa chaise, inhalant son café et deux tranches de bacon, poussant le reste du plat vers Ethan. Le jeune homme choisit de croire que Denys n'était au courant de rien, et de lui faire confiance. Avoir un ami durant le temps de la mission ne lui ferait pas de mal. Il s'empara d'un morceau de viande, et le mâchonna rêveusement. Peut-être qu'aujourd'hui, ils se contenteraient de faire leur boulot d'Archéorêve et que tout irait bien.
Quelques heures plus tard, alors qu'Ethan était déjà sur le chantier, obéissant à tous les ordres que lui lançait Jared, Anton Sparks débarqua d'un pas chancelant.
Il avait les traits tirés, le teint verdâtre à l'exception de deux cercles noirs sous ses yeux, et ses cheveux habituellement élégamment peignés en arrière lui tombaient sur le front, les boucles lourdes et grasses. Il héla Ethan, l'interrompant dans ses tâches en exigeant que le jeune homme le suive. Jetant un regard vers Jared qui lui signifia son approbation d'un mouvement de tête, le jeune homme déposa ses outils et se hissa hors de l'excavation pour se précipiter à la suite de son mentor, qui s'éloignant déjà sans un coup d'œil en arrière.
Ils ne s'arrêtèrent qu'à l'orée de la forêt, et Ethan sentit un frisson glacé le parcourir. Anton dut s'en apercevoir, car il le rassura immédiatement :
«Pas aujourd'hui, gamin. Il est hors de question que toi et moi remettions les pieds tout de suite dans cette forêt, mais j'avais besoin de te parler seul à seul. Je ne t'ai pas dit toute la vérité, et je me dois d'être honnête avec toi. Mais d'abord : comment te sens-tu ? »
Ethan plissa les yeux, suçotant sa lèvre inférieure sous l'effet de la concentration. Il était étonné des parole de son mentor, curieux d'en savoir plus, mais n'osait pas révéler ce qu'il avait entendu la veille. Confier à son patron qu'on l'avait espionné n'était peut-être pas la meilleure idée. Finalement, il opta pour en dire le moins possible, et attendre de voir où la conversation le mènerait.
«ça ne va pas trop mal, répondit-il d'un ton qui se voulait neutre. Je suis désolé pour hier, je ne sais pas ce qu'il s'est passé, j'ai dû faire un malaise. Je me suis reposé cette nuit, merci encore de m'avoir porté et remis au lit. Vous traitez bien vos employés, M. Sparks. »
Le ton était aimable, mais dépourvu de chaleur, et fit tiquer l'aîné des deux hommes. Il avait eu l'impression qu'une certaine complicité s'était installée entre eux, et il avait beaucoup d'affection pour le gosse, et sa réponse terne lui fit l'effet d'une douche froide. Il fixa Ethan quelques longues secondes, la bouche ouverte sur un O de surprise, avant de se reprendre et de poursuivre, s'efforçant d'insuffler plus de gentillesse dans ses propos :
«C'est normal, Ethan, ton bien-être m'importe. Le bien-être de tous mes collaborateurs m'importe, d'ailleurs, c'est pour ça que Jared et Denys me supportent depuis autant d'années. Et tu n'as pas à t'excuser pour hier, c'est ma faute et... Justement, c'est de cela dont je voulais te parler, mais j'ai changé d'avis. Viens, on ne va pas faire ça ici, allons dans ma tente. »
Il se retourna d'un pas décidé, se dirigeant vers le campement. Il se sentirait mieux avec une tasse de thé fumant entre les mains, et suffisamment de chocolat pour apaiser la sensation d'abattement qui lui rongeait l'estomac. Derrière lui, Ethan suivant d'un pas traînant, et Anton eut envie de se mettre un coup derrière la tête en pensant à ce qu'il avait fait subir au gamin.
Arrivés dans son baraquement, Anton s'empara de deux coussins et les jeta au sol, à un peu moins d'un mètre de distance. Il mis sa bouilloire en route, et fit signe à Ethan de s'installer sur l'un des coussins. Quand le thé serait chaud, il s'assiérait en face de lui, mais pour le moment, il était heureux d'avoir quelque chose à faire de ses mains, et s'obligea à reprendre une contenance.
La vérité, c'est qu'Anton Sparks était épuisé. Après sa dispute d'avec Jared la veille au soir, et les remontrances qu'il avait essuyées à juste titre après avoir mis la vie du gosse en danger, il n'avait pas pu dormir et était retourné dans la forêt, armé de son pendule, qu'il avait arraché des mains d'Ethan en le mettant au lit. Le gamin était complètement sonné, une longue balafre lui barrant le front là où une branche l'avait frappé, et voir cette ligne de sang séchée sur son visage pâle avait donné à Anton des aigreurs d'estomac.
La culpabilité le rongeait, et il refusait de mettre la vie de qui que ce soit d'autre en danger, mais il avait besoin de réponses, et il en avait besoin rapidement.
Une heure plus tard, il s'était arrêté, haletant. Il était encore très loin de la clairière, et il savait qu'il n'y parviendrait pas avant le petit matin. Il s'était autorisé à prendre un quart d'heure avant de se remettre en marche, mais quand enfin il avait débouché sur la clairière, rien ne s'était produit. Il avait agité son pendule, fouillé dans tous les recoins, l'avait plaqué contre les racines des arbres, mais rien. Aucune vision, aucune sensation étrange, juste une fatigue immense et un abattement certain. Il avait repris le chemin du campement, le traversant sans s'arrêter pour aller chercher Ethan sur le chantier de fouilles. Il n'avait pas dormi depuis au moins 72 heures, n'avait presque rien mangé, mais il avait besoin de parler au gosse avant toute chose.
C'est ainsi qu'il se retrouvait enfin, face à un jeune homme presque hostile sans qu'il comprenne pourquoi, et tenant à peine sur ses jambes en attendant le sifflement familier de sa bouilloire. Il servit deux tasses, tendit l'une des deux à Ethan, puis se laissa glisser au sol sur son propre coussin, repliant son torse massif autour de son propre mug pour en aspirer toute la chaleur. Il frissonna, et l'espace d'une fraction de seconde, la pensée d'un bain brûlant s'imposa à son esprit, qu'il repoussa bien loin. Anton se râcla la gorge, et attendit qu'Ethan croise son regard pour démarrer ses explications :
«Tu te rappelles comment, avant-hier, je t'ai parlé ici-même de la forêt des mythes, avec cette vieille carte qui mentionnait Enterria ? Cette carte avait été tracée par mon arrière-grand-père, et date de l'époque de la construction du Dôme. Juste avant le regroupement en castes, avant l'Archéorêve, le Médisoin, et toutes ces carrières parmi lesquelles on nous force à choisir désormais.
Le vieil homme était persuadé qu'on faisait fausse route avec la fermeture de nos territoires aux Etrangers, et que la réponse à la survie de notre espèce n'était pas dans la réinvention du futur mais la reconnexion au passé. Il avait développé toute une théorie sur les êtres qui peuplaient notre terre avant nous, une espèce qu'il a baptisé les Anciens, des créatures mi-humaines mi-aliens. Il était persuadé qu'ils avaient débarqué sur notre planète pour la coloniser, mais avaient choisi de retourner pour un temps chez eux, avant que quelque chose ne les empêche de revenir. Il était aussi convaincu qu'ils avaient placé des "messages" sur la planète, comme des sortes de clefs de communication, pour pouvoir revenir par la suite. »
Ethan l'écoutait, les yeux écarquillés comme un enfant, toute trace d'hostilité disparue. Anton prit le temps de siroter quelques gorgées de thé avant de reprendre, un sourire accroché aux lèvres :
«On dirait un conte pour les gosses, n'est-ce pas ? Ou que le vieux n'avait plus toute sa tête. En tout cas, c'est ce qu'on m'a toujours répété depuis l'enfance. Que le Papy était zinzin, et qu'il avait négligé sa famille pour partir en quête de personnages qui n'existaient que dans sa tête. Il est mort à 43 ans, le crâne fendu contre un rocher dans le désert des Pyriades. Apparemment, il avait dû oublier de manger, boire et dormir des jours durant, et une chute malencontreuse avait eu raison du bougre.
Mon grand-père le détestait pour ce qu'il avait fait subir à sa mère, qu'il avait regarder se dépérir tous les jours à sa fenêtre en attendant le retour d'un mari qui n'en avait cure. Il voulait tout brûler, quand ils ont appris sa mort, ne laisser aucune trace des chimères après lesquelles il avait couru toute sa vie, mais mon arrière-grand-mère lui a fait jurer de tout garder. Elle lui avait dit "au moins, sa maîtresse était de celles contre qui je ne pouvais pas rivaliser". Alors il a tout jeté dans une malle planquée au grenier, et la vie a repris son cours. Et puis, quand j'ai eu douze ans, je suis tombé sur la malle. A l'époque, le Dôme était en place depuis longtemps, c'est la seule existence que j'aie jamais connue, tout comme toi. Au grand dam de mon père, je voulais devenir Archéorêveur, l'une des professions les moins nobles de notre système. Là encore : tout comme toi. Le contenu de la malle m'a immédiatement fasciné, et mon grand-père, qui avait pour moi toute l'indulgence qu'il n'avait jamais réussi à avoir pour son propre père, m'a fait don de l'intégralité de son contenu. La carte et le pendule n'en sont qu'une infime partie, et j'aimerais partager le reste avec toi, si tu le veux bien. »
Anton se tut enfin, épuisé par le long flot de paroles qui venait de s'écouler de lui. Il finit son thé, désormais froid, et se leva pour s'en refaire une tasse, tout en croquant dans un carreau de chocolat.
«Pourquoi moi ? »
La voix qui s'éleva dans son dos était si petite, si faible qu'il crut un instant l'avoir rêvée, et il se retourna pour regarder Ethan d'un air étonné.
Le jeune homme soutint son regard, et reprit d'une voix plus forte, fronçant les sourcils :
«Pourquoi moi ? Pourquoi pas Jared ou Denys, vos fidèles acolytes ? Pourquoi pas un de vos émérites collègues ? »