vendredi 27 août 2021

Le Dîner - la Fin vue par Solen

  Avant de vous dévoiler la fin telle que je l'ai écrite, voici l'une des fins alternatives proposées. C'est la version de Solen qui est la première version à m'avoir été évoquée, et c'est donc la première à être publiée ici. 1176 mots - et pour rappel, le chapitre qui précède est à lire ici


Je sortis précipitamment, laissant l’Ukrainienne brisée derrière moi. Il était urgent de trouver Johan. Soit Olena continuait à nous manipuler, soit quelque chose de pire se tramait. Il nous fallait fuir ensemble. 

Je courais dans les couloirs, n’osant pas crier par peur d’attirer la mauvaise personne. Je ne savais même pas si le boucher était toujours dans l’hôtel. Finalement, alors que je débarquais en trombe dans la salle Andrássy, celle où tout avait commencé, je tombais nez à nez avec sa silhouette massive qui sortait des cuisines. 

Un immense soulagement s’abattit sur moi, et je souris. 

“Johan, enfin te voilà. J’avais peur qu’il te soit arrivé quelque chose.”

Il était pâle, une fine pellicule de sueur recouvrant son front, le regard fuyant. Je ne m’attardais pas sur ses détails. Moi aussi j’avais peur, et mon apparence faisait peine à voir ces derniers jours. 

“Tout va bien, Camille. Mais tu m’as l’air bien essoufflée, que se passe-t-il ?”

J’inspirais profondément, tentant de me calmer, mais les mots franchirent le barrage de mes lèvres sans que je puisse les retenir plus longtemps. Dans un anglais éraillé mâtiné de français et des rares mots allemands que je connaissais, souvenir du collège, je lui expliquais tout : ce qui avait poussé Olena à nous faire venir, ce qu’elle m’avait raconté, mes incertitudes, mais aussi et surtout qu’elle disait être innocente en ce qui concernait les meurtres du Dr Singh et d’Ekundayo. Une partie de moi la croyait sincère, et je ne cachais pas mon sentiment à Johan. 

Quand je m’interrompis enfin, épuisée et à bout de souffle, le pauvre homme avait le regard vide, les bras ballants le long de son corps. Je posais ma main sur son avant-bras, et l’appelait doucement, mais il ne réagit pas. Je décidais de prendre les devants, et l’entrainais à ma suite. 

“Viens, allons rejoindre Olena dans ma chambre et partons. Si nous restons ensemble, il ne pourra rien nous arriver.”

Il hocha la tête et m’emboîta le pas, se laissant aisément tracter malgré son indéniable force physique. J’en fus soulagée : je n’étais pas sûre qu’il restait en moi de quoi l’y obliger vraiment. 

Nous marchâmes en silence, l’oreille aux aguets, jusqu’à mon étage et la porte de ma chambre, qui était entrebâillée. J’hésitais un instant. Ne l’avais-je pas refermée derrière moi en partant ? Et si Olena m’avait menti et en avait profité pour prendre la fuite ? Et si le tueur avait débarqué en mon absence ? Je posais ma main à plat sur le bois rouge, et poussais doucement, bénissant ce lieu luxueux où rien ne grinçait jamais. Je souris en découvrant Olena, toujours assise au même endroit, et qui me souriait timidement, visiblement rassurée de mon retour. 

“J’ai trouvé Johan. Nous pouvons nous en aller à présent. C’est fini.”

Je m’écartais pour laisser rentrer le grand blond, mais avant que je puisse réagir, l’Allemand m’envoyait valser contre le mur, et se jetait sur l’Ukrainienne qui poussa un hurlement de terreur que j’entendis résonner dans tout mon corps. Le choc de mon crâne heurtant la boiserie m’assomma, et je me retrouvais un instant incapable de lutter. Mon corps me semblait figé sur place, alors même qu’Olena se faisait étrangler sous mes yeux. Malgré tout, l’instinct prit le dessus, et je me retrouvais très vite à m’enfuir à toutes jambes, ignorant la pulsation de douleur qui faisait tempête sous mon crâne, ne pensant qu’à partir loin, très loin. 

Les heures qui suivirent restent floues pour moi. Je me rappelle avoir atterri dans la rue, hagarde et terrifiée, agrippant les passants pour les supplier d’appeler la police. La plaie sur mon crâne saignait abondamment, et plus que mes bégaiements affolés, c’est probablement mon apparence qui a poussé un couple de trentenaires, deux grands hommes à la silhouette élancée, à me conduire au poste de police, où je n’eus le temps que de marmonner “meurtrier” et “Palais Gresham” avant de m’évanouir prestement. 

La suite, ce sont les enquêteurs qui me l’ont racontée. Une unité s’est précipitée sur place, prenant d’assaut le luxueux hôtel. Malgré les sommations des policiers, Johan s’était jeté sur eux en vociférant et avait été abattu sur le champ. Ils trouvèrent le cadavre d’Olena dans ma chambre, et le Dr Singh et Ekundayo dans la chambre froide, comme je le leur avais indiqué. Mais ils trouvèrent aussi le corps d’Anton, battu à mort,  et de plusieurs serveurs, poignardés dans la cuisine. Le tout vraisemblablement de la main de Johan. 

Ce qui s’est passé à Budapest me hante toujours, bien des années plus tard. Je suis entrée en contact avec Katja et ses enfants. La femme de Johan ne s’est jamais remise de cette histoire, elle non plus. Elle me raconta longuement comment son mari pleurait des heures durant au téléphone, terrifié à l’idée de mourir loin d’elle, puis comment, peu à peu, son discours, sa voix avaient changé. Comment, impuissante, elle avait écouté son mari sombrer dans la folie, nuit après nuit. Elle n’avait rien dit, n’avait pas voulu y croire. Elle avait fermé les yeux pour préserver sa famille, et la culpabilité la rongeait désormais. J’aurais voulu pouvoir lui dire que je la pardonnais pour l’aider, peut-être, à faire son deuil, mais je n’ai pas pu. Le mois dernier, Isabella, l’aînée de la famille, m’a appelée pour m’annoncer son décès. J’ai de la peine pour elle et pour ses frère et soeur : leur histoire de vie est entachée à jamais des erreurs de leurs parents. 

De mon côté, j’ai longtemps cherché à comprendre. Pourquoi moi ? Pourquoi suis-je la seule survivante de ce drame ? Pourquoi Johan m’a-t-il épargnée, ce jour-là ? Dans la salle Andrássy, dans les couloirs de l’hôtel, il n’a pas manqué d’opportunités de m’ôter la vie. Malgré tout, je suis encore là aujourd’hui. J’ai touché l’héritage d’Olena. Il ne restait que moi. J’ai tout reversé : à la famille d’Ekundayo au Nigéria et aux Etats-Unis, aux enfants de Johan. Le Dr Singh est désormais enterré dans son charmant village de Barmby on the Marsh. J’ai donné une partie de l’argent à l’école du village, de quoi payer un beau voyage en hommage au vieil homme. Ce qu’il restait m’a servi à embaucher une jeune femme pour travailler avec mon au salon de thé. 

Je regarde toujours derrière moi partout où je vais. J’ouvre le courrier d’une main tremblante. Moi qui avais l’âme aventurière, j’ai peur de sortir de chez moi. Je ne sais pas trop si vous raconter mon histoire m’aura aidée. Au moins ai-je eu l’impression de rendre hommage au Dr Singh, à Ekundayo, à Olena, qui n’auront pas eu la chance de faire un dernier voyage, d’écrire un dernier best-seller ou de se trouver une dernière famille. Désormais, il n’y a plus que du chagrin : pour ces vies gâchées, les leurs mais aussi celles de Johan, de Katja, de leurs enfants, d’Anton et de toutes les victimes d’une mauvaise farce qui a tourné à l’horreur. Et pour moi, qui vis avec le poids de leur histoire. Mon corps est toujours là, mais d’une certaine manière, moi aussi, je suis morte cette semaine-là. 

FIN

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