mercredi 7 juillet 2021

[NaNo Camp Juillet - Prompt du jour : "à partager"]

Une fois encore, un texte combo entre le prompt du jour "à partager" et un prompt généré par Writer Bot : "Two people connect on a singles app. A virtual romance begins, despite living locally they haven’t met…" (traduction : deux personnes se rencontrent sur une appli pour célibataires. Une romance virtuelle commence ; bien qu'ils vivent au même endroit, ils ne se sont pas rencontrés") - 2033 mots

La solitude était ma compagne depuis si longtemps que je m’étais habituée à elle. Couverture confortable, seconde peau dans laquelle j’avais pris mes marques, elle ne me quittait plus, et je n’en étais pas malheureuse. J’aimais cette indépendance, ce sentiment presque sauvage en moi de ne dépendre de personne, de n’avoir de comptes à rendre à personne, d’être libre.

 Et parfois, cela ne me suffisait pas. Je voulais plus, ou autre chose. Une épaule sur laquelle pleurer, un corps contre lequel me réchauffer, une voix à qui me confier, avec qui débattre, échanger, partager.

Mon cœur était si grand et si plein d’amour qu’il me semblait qu’il allait exploser, si je gardais tout cela en moi.

Alors, parfois, je faisais la même chose que tous les célibataires 2.0 font : me connecter sur un site de rencontres. La plupart du temps, cela ne me renvoyait qu’à ma farouche indépendance. Une succession de profils creux, vides de passion, centrés sur le paraître. Ou des profils trop remplis, où pointait la colère, la domination, la jalousie, l’envie d’écraser.

Je ne reconnaissais en personne le feu qui m’animait, la passion dont je vibrais, cette curiosité pour l’autre, cette envie de… partager. Ce mot qui revenait sans cesse.

Malgré tout, de temps à autre, on « matchait ». Une ouverture se créait sur le monde de quelqu’un d’autre, la possibilité de discuter. Cela allait rarement plus loin, le désintérêt de l’un ou de l’autre pointait son nez, ou la conversation mourait d’elle-même, ou parfois encore, il y avait un petit quelque chose inconnu qui bloquait, un grain de sable dans l’engrenage qui faisait que… rien. Un jour la passion virtuelle, le lendemain le silence.

 

Puis il y a eu lui. Celui que je n’attendais pas. Celui qui semblait aussi différent de moi que semblable à moi. Le yin de mon yang. Mon jumeau maléfique, mon doppelganger. On dit « qui se ressemble s’assemble ». On dit aussi : « Les contraires s’attirent ». Je n’avais jamais compris jusque là, les deux adages me semblant à l’antithèse l’un de l’autre. Etait-ce les similitudes qui rapprochaient deux êtres, ou les différences. Jusqu’alors, je n’avais pas saisi la nuance. C’est l’équilibre des deux qui fait l’alchimie, la fusion, l’attirance. Un être identique à moi par de nombreux aspects, mais suffisamment différent pour créer l’envie d’appendre de lui.

Il vivait dans la même ville que moi, à 3 kilomètres d’après la géolocalisation sur l’application. Son profil m’avait fait rire autant qu’il m’avait rendue curieuse, ses photos montraient un certain charisme, sans être une de ces beautés froides et classiques qui font penser que le profil est faux. Il partageait un peu de lui en quelques lignes, suffisamment pour attirer mon attention et me donner envie d’en savoir plus. Il était visiblement intéressé aussi pour apprendre à me connaître puisqu’un balayage de doigt dans le bon sens plus tard, nous étions mis en relation.

La conversation a été fluide dès le premier instant, sans pour autant être envahissante. Mon ourse intérieure était toujours bien présente, et ma vie dans le monde réel très remplie. La communication à longueur de journée m’était impossible, ce qui constituait parfois pour certains un point de non-retour, mais lui l’a accepté sans un sourcillement, tout aussi occupé que moi.

L’application sur laquelle nous nous étions rencontrés a montré très vite ses limites, et, un échange d’adresses plus tard, nous communiquions à grands coups de longs mails, rédigés tard dans la nuit. J’aimais sa vivacité d’esprit, son humour délicat, et sa façon timide de se projeter sans pour autant tirer des plans sur la comète, mais tâtonnant tous deux pour découvrir si nos plans de vie pouvaient se recouper.

Ces discussions ont duré plusieurs mois. Il n’avait pas abordé l’idée de se rencontrer en vrai, du moins pas avec certitude, ni avec une deadline fixe. Le futur restait quelque chose d’abstrait et, de mon côté, je n’osais pas insister, par peur de le brusquer, de le perdre et, sans doute aussi, avec une once de méfiance que je ne parvenais pas à chasser, cette petite ombre noire au tableau, ce démon intérieur qui me murmurait qu’il avait un secret, qu’il mentait.

Plus le temps passait, plus cette voix intérieure grandissait. Je tenais à respecter ses limites, mais je brûlais de le rencontrer, de l’avoir face à moi, de savoir si l’alchimie serait toujours là en vrai. Nos échanges se faisaient plus tendres, plus intimes, et je me sentais prête à basculer, prête à l’aimer, prête à partager plus encore s’il le voulait. Il ne manquait que cette barrière du virtuel à faire sauter, et nous pourrions être heureux, et envisager l’avenir, travailler à concrétiser ensemble nos rêves et nos projets.

Ma frustration grandissait de ne pas comprendre ce qui le retenait, alors même que je ne lui posais pas la question. J’étais malheureuse, et je commençais doucement à me recroqueviller intérieurement, à remonter lentement le mur de briques autour de mon cœur qui me protégerait de plus de souffrances, de déceptions et de regrets. Je pleurais en y pensant. J’étais déçue d’avoir encore échoué, d’y avoir encore cru, d’avoir espéré.

J’avais déjà déclaré la défaite avant même la bataille. Sans même m’en rendre compte, j’espaçais plus encore mes temps de réponse. Chacun de ses messages faisait toujours autant battre mon cœur, mais je n’y croyais plus, il y avait forcément une entourloupe, quelque chose qui clochait, un mensonge ou une déception qui m’attendait au tournant. Je me sentais blessée, trahie. J’avais dévoilé tout de moi, mes envies, mes peurs, la maladie, mes succès, mon passé, mes blessures, mes espoirs, toutes mes forces et mes faiblesses étalées au travers de nombreux mails, de nombreux mois. Une mise à nu en vain, un coup de cœur transformé en coup de couteau.

Finalement, un soir, une notification sur mon téléphone attirait mon attention. Un mail, venu de lui. En objet, un seul mot : « aveu ». Je cliquais sur la petite icône m’entraînant vers mes mails, le cœur au bord des lèvres, la main tremblante. C’était le glas qui sonnait sur une relation qui n’avait même pas commencé. J’étais brisée, une nouvelle fois. Chassant les larmes qui menaçaient de couler, je commençais ma lecture.

« Bonsoir beauté,

Cela fait depuis quelques semaines, pour ne pas dire mois, désormais, qu’une idée fixe tourne en boucle dans ma tête, créant la tempête sous mon crâne. J’ai tenté maintes et maintes fois de la repousser au loin, sans succès. Au moment où je t’écris ces lignes, mon cœur bat si fort que j’en ai le tournis, et j’essuie presque frénétiquement mes mains moites sur mon pantalon, une pratique que ma mère a tenté en vain d’éradiquer de mes habitudes pendant les belles années de mon enfance. Je suis presque timide à l’idée d’écrire ces mots, et la peur du regret me noue l’estomac. Je n’ai jamais été connu pour mon courage.  A l’idée de sauter dans le vide, j’ai le vertige. Mais tu mérites bien cela, tu mérites tellement plus…

Tu vois comme je tourne bien autour du pot ! Comme j’ai peur de poursuivre, comme j’ai peur de ce qu’il va arriver. Je n’ai jamais été très bon pour sonder les états d’esprit, pour savoir à l’avance quelles étaient les pensées de l’autre. Et je n’aime ni avoir tort, ni me tromper.

Tout ce temps, j’ai espéré que cela viendrait de toi, que tu m’ôtes cette épine du pied, que tu m’épargnes cet effort. Non pas que tu ne le vailles pas, mais parce que je choisis toujours la voie de la facilité. Je t’entends presque me dire « Normal, tu n’es qu’un homme », à ceci près que la voix qui est dans ma tête n’est que celle que je te prête.

Voilà justement ce dont je viens te parler. Je sais à quoi tu ressembles, et j’ai une bonne idée de ta psyché, mais il manque quelque chose. J’ai l’image mais pas le son, comme un vieux téléviseur déréglé, et je n’en peux plus. Ça brûle en moi d’attendre, ça me consume, ça me dévore.

Je voulais te laisser du temps, autant que tu en voudrais, jusqu’à ce que tu te sentes prête, jusqu’à recevoir un message de toi qui me dirait « il est temps ». Mais je n’en peux plus, voilà mon aveu. Je ne sais pas si c’est que tu n’en as pas envie, si c’est que toute cette image que j’ai construite de nous dans ma tête n’est que de la fumée, du vent, des châteaux en Espagne, peut-être que je suis seul face à ce que je ressens et que, lorsque tu me répondras, si tu me réponds, ce sera pour piétiner les morceaux de mon cœur en miettes.

Je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme toi. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui me fasse autant vibrer sans que je n’aie entendu le son de sa voix, qui me donne envie de me lever le matin juste parce que chaque jour passé sur la Terre me rapproche de toi. Alors je suis impatient. Impatient, et tout aussi plein d’espoir que je le suis de terreur à cet instant, alors que je m’apprête à cliquer sur Envoyer et à déposer mon humble destin entre tes mains.

Accepterais-tu, enfin, de me rencontrer ? En vrai, en chair et en os, en face à face, toi et moi et le lieu de ton choix, n’importe où qui te fasse te sentir à l’aise.

Attendant ta réponse, le cœur battant, l’espoir au vent. »

 

Je ne savais pas s’il fallait rire ou pleurer. Je déposais un instant mon téléphone sur mes genoux, le temps de passer mes mains tremblantes dans mes cheveux, tout mon corps tendu, proche du point de rupture. Je m’efforçais de me rappeler comment respirer alors que la joie menaçait de m’engloutir, une vague d’amour me submergeant. Deux beaux idiots que nous faisions, les deux faces d’une même pièce. J’admirais son courage, cependant, autant que je l’en bénissais. Nous aurions pu nous attendre longtemps, nous frôler comme deux bateaux dans la nuit, une occasion manquée, le battement d’ailes d’un papillon qui jamais ne déclenche de tsunami. Mais il avait eu la force de surmonter la peur qui m’avait étranglée, lui qui semblait tant fait pour moi, celle du rejet, et de voir se briser une chimère si précieusement construite.

Je m’efforçais de me reprendre, de maîtriser mes émotions le temps, à mon tour de composer timidement un message de réponse. Ce sourire qui, l’instant d’avant me semblait si difficile à extirper, ne quittait désormais plus mes lèvres lorsque, d’entre le rideau de mes larmes, je répondais, aussi vite que mes pouces pouvaient courir sur le minuscule clavier.

Les jours suivants s’écoulèrent bien trop lentement à mon goût, ou bien était-ce mon cœur qui battait trop vite. Je flottais, heureuse et impatiente, anxieuse et exaltée, funambule sur une corde tendue entre l’espoir et la peur. Je stockais dans un recoin de ma mémoire chacune des petites choses qui se produisaient et dont je voulais lui parler, dont je saurais qu’elles le feraient rire ou sur lesquelles il aurait une opinion intéressante à partager avec moi.

Puis ce fut le jour J. Je voudrais pouvoir dire que j’ai essayé un milliard de tenues et coller à tous les clichés qui nous ont été inculqués depuis l’enfance, mais la vérité est que, comme tous les jours, je me suis habillée avec ma journée de travail en tête. A ce stade, une jolie robe ou un décolleté ne changerait pas ses pensées. Il me verrait telle que j’étais sans artifice ni atout. Juste moi.

La fin de journée est finalement arrivée, après que les heures se fut écoulées, lentes et lancinantes, et je me précipitais à notre point de rendez-vous, tentant d’ignorer mes angoisses, remettant mon sort entre les mains de l’univers, pour une fois.

Je tremblais, m’efforçant de regarder partout à la fois, cherchant à le repérer la première, sans pour autant me donner un torticolis à force de tourner frénétiquement la tête.

C’est au moment où je fermais les yeux, m’efforçant de me recentrer, qu’une voix murmura derrière moi, comme à bout de souffle : « C’est toi. »


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