jeudi 15 juillet 2021

[NaNoCamp Juillet - A la manière de]

 Texte du jour sur le prompt du jour : "à la manière de". Très librement interprété d'une narration à la manière d'un film noir, avec un twist. 744 mots


Je louais un bureau vers les docks. Une pièce grise et terne au-dessus d’une vieille gargote, les lettres de mon nom collées à la porte. Les gars qui traînaient dans le coin n’étaient pas du genre curieux, et même si la plupart d’entre eux étaient des loubards à la petite semaine, je détournais les yeux de leurs affaires et ils ne mettaient pas le nez dans les miennes.

Des gars de la ville cherchaient à me faire tomber depuis bien longtemps, désapprouvant mon mode de vie, mais la loi d’ici n’était pas la leur, et je me gardais bien de marcher sur leurs plates-bandes.

Je m’apprêtais à quitter les lieux ce soir-là, écrasant ma clope dans le cendar qui débordait, quand une pépette débaroula en panique, ses grands yeux bleus remplis de larmes. La pépée n’avait pas daigné toquer, ce qui m’avait mis la puce à l’oreille direct, et elle secoua ses longues boucles blondes en se jetant à mes pieds.

Elle était dans de sacrées embrouilles, me dit-elle, et avait entendu parler de moi par le frère d’un ami de son cousin, un truc assez flou et compliqué pour que je m’embrouille. Elle jouait de ses formes, et je rentrais dans le jeu, suffisamment pour qu’elle y croie, sans vraiment me compromettre.

Faut dire qu’elle était douée, quand même, la gamine, pour faire couler les larmes sur ses joues rondes, et sans faire baver son mascara. Je tirais un mouchoir de ma poche et lui tendais, passant une main autour de sa taille pour la poser sur sa hanche, suffisamment bas pour qu’elle le remarque, sans pour autant risquer de m’attirer les ennuis. Si elle voulait jouer, on allait jouer.

Elle me sortit son histoire alambiquée et parfaitement répétée, poussant des soupirs là où il fallait, pressant son petit corps chaud contre le mien, ses longs doigts manucurés posés délicatement sur ma cuisse.

Je gardais la mine impassible, hochant la tête, faisant mine d’écouter. Elle était subtile, la petite, mais pas aussi maligne qu’elle le pensait. Sa tirade interrompue, je posais quelques questions. Le doute était clair dans ses yeux, mais elle fit de son mieux pour répondre. Je gardais pour moi un sifflement impressionné.

J’entendais déjà l’agitation du bar quand je la laissais repartir, non sans qu’elle ait déposé un baiser au rouge à lèvres sur ma joue mal rasée, murmurant « à bientôt, détective » d’une voix rauque et aguicheuse. Elle devait en tourner des têtes sur son passage, une pépée bien roulée comme elle, dommage qu’elle ne soit pas mon type, si vous voyez où je veux en venir.

J’écartais les lames de mon store pour la regarder malgré tout partir, ses hanches se balançant fièrement, sa mission accomplie.

 Je souris en mon for intérieur, vidant le cendrier, éteignant les lumières.

Cette nuit, je redoublais de prudence, jetant des coups d’œil rapides derrière mon épaule à chaque tournant. Il ne fallait pas compter sur les gars du port pour voler à mon secours en cas d’embrouilles, et je ne comptais pas me faire pister jusqu’à chez moi. Je suis un privé qui aime garder sa vie privée. Jeu de mots intentionnel.

Je n’étais pas né de la dernière pluie. Si la minette qui venait de partir de mon bureau était si douée, qui sait qui ils m’enverraient la prochaine fois.

C’était usant, à la longue, de vivre sur le qui-vive, et j’avais beau être un dur à cuire, je ne méritais pas ce qui m’arrivait.

Sans doute viendrait le jour où l’on pourrait être différent sans se cacher, sans prendre le risque d’être stigmatisé, mais pour le moment, je restais méfiant et discret.

Parvenu à mon appartement à l’autre bout de la ville, certain de n’avoir pas été suivi, je déverrouillais rapidement la porte, refermant chaque loquet derrière moi. Je déposais mes clefs et ma matraque télescopique dans l’entrée. La règle de la maison était la même depuis le départ : pas d’armes dans notre sanctuaire. Ôtant mes chaussures et ma veste dans la foulée, je poussais un soupir d’aise, et passais la porte du salon, repoussant loin dans mon esprit la pépette blonde payée pour m’espionner.

Dominique était sur le canapé, ronflant légèrement, un livre déplié tombé sur sa poitrine, et je souris devant la vision. Soulevant ses pieds, je m’installais tranquillement. Ses yeux s’ouvrirent doucement et tombèrent sur moi.

Son sourire valait bien tous les dangers. Ils n’étaient pas nés ceux qui m’éloigneraient de l’homme de ma vie.


Aucun commentaire: