jeudi 22 juillet 2021

[NaNoCamp Juillet - Prompt du jour : Bâtir un fort]

 Cumul entre le prompt du jour "Bâtir un fort" et une contrainte de Winnie "il se met à pleuvoir" - 736 mots


Elle n’aimait rien tant que sa maison au bord de la plage, et les grandes baies vitrées qu’elle avait fait installer dans le salon, sous lesquelles courait une banquette recouverte de coussins moelleux où elle adorait se reposer, lire ou boire un thé, le nez collé à la fenêtre, admirant le reflux de la marée, rêvassant.

Et lorsque la pluie arrivait, il était alors temps de bâtir des châteaux en Espagne, de s’imaginer en romancière à succès, en aventurière, en enquêtrice, un milliard de vies à portée de son esprit effervescent.

Elle avait toujours été du genre à rêver sa vie plutôt que de la vivre. Toute petite déjà, ses parents soupiraient de concert avec l’institutrice en lisant ses dissertations sur les vacances incroyables qu’elle avait passées, où pas une miette n’était vraie.

Son père et sa mère auraient pu encourager sa passion pour les histoires, mais elle venait d’un milieu où l’on ne voyait pas d’un bon œil l’imagination, et où rêver ne remplissait pas les assiettes. Il fallait du concret, des certitudes, des estomacs pleins. Et ça passait par des métiers parfois durs, mais dont on ne craignait pas qu’ils disparaissent du jour au lendemain.

Son enfance n’avait pas pour autant été malheureuse. Difficile, oui, mais autant remplie d’amour que d’incompréhension.

A la mort prématurée de ses parents, usés bien trop tôt par une vie trop rude, elle avait décidé de changer de vie. Elle qui avait toujours économisé le moindre centime, avait cassé son Plan Epargne Logement, empilé ses bagages dans la voiture, et avait roulé tout droit jusqu’à l’océan, pénétrant d’un air affirmé dans la première agence immobilière venue. Lorsqu’ils lui avaient ri au nez, elle avait tourné les talons, poursuivant sa quête jusqu’à tomber sur une petite agence ne payant pas de mine, dont le propriétaire était un jeune homme tout juste installé, accompagné de sa maman qui faisait office de secrétaire. Lui aussi avait eu un rêve et avait décidé de le concrétiser, et ils parlèrent longtemps, reconnaissant la lueur dans le regard de l’autre. Il avait promis de l’aider, mais elle devait d’abord trouver un emploi.

Armée de sa volonté de fer, elle avait parcouru les rues quotidiennement, poussant les portes des cafés et des restaurants, dormant dans sa voiture et se baignant dans les douches publiques de la plage. La mère de son nouvel ami lui apportait régulièrement des sandwiches, et c’est finalement elle qui lui avait trouvé ce poste de dame de compagnie chez une femme âgée et malade. Elle avait le gîte et le couvert, et bien que la paye fût maigrelette, les tâches n’étaient pas compliquées. Elle levait la grand-mère tous les matins, l’aidant pour la toilette et les repas, et passait le reste de ses journées à discuter calmement avec elle, lire des livres, apprendre la broderie et le crochet.

Elles s’entendaient bien, et lorsque la mamie décéda quelques années plus tard, elle lui laissa une somme rondelette en héritage. Armée de son pécule ainsi augmenté, elle retourna voir son agent immobilier préféré, qui avait entre temps rencontré le succès. Ils étaient restés proches tous ces ans, et il n’avait jamais oublié sa promesse de l’aider.

Il l’accompagna dans toutes ses démarches auprès de la banque pour obtenir un prêt, et ils passèrent de longues heures penchés ensemble sur des annonces diverses et variées pour affiner sa recherche, avant d’aller visiter des biens qui semblaient pouvoir correspondre à la maison de ses rêves.

Finalement, ils l’avaient trouvée, cette petite maison à un étage au bord de la plage, délire biscornu d’un architecte raté, parfaite dans ses imperfections. Il y faisait trop froid l’hiver et trop chaud l’été, les planchers craquaient, et la décoration intérieure n’était qu’accumulation de fautes de goût.

Elle était tombée amoureuse de la bicoque au premier regard. Le propriétaire, désespéré de n’avoir pas eu d’offre en deux ans, s’était empressé d’accepter sa proposition bien en dessous du prix demandé, ce qui lui avait permis d’économiser de quoi faire les travaux et d’aménager la maison selon ses envies et ses goûts, dont les grandes baies vitrées pour un espace ouvert, peu lui importait le froid.

Elle travaillait désormais pour l’agent immobilier, ayant pris le secrétariat pour que la mère de son ami puisse enfin profiter de sa retraite, ce qui lui assurait un revenu régulier, et la capacité de bâtir des châteaux en Espagne, les dimanches pluvieux, le nez collé à la fenêtre.


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