mercredi 21 juillet 2021

[NaNoCamp Juillet - prompt du jour : "Ce que je peux enseigner"]

 Cumul entre le prompt du jour "Ce que je peux enseigner", un clin d'œil au prompt d'hier "En ligne", et une contrainte de Winnie-bot "un personnage est en retard" - 845 mots


« Et surtout, rappelles-toi la règle d’or : NE SOIS PAS EN RETARD. »

Je raccrochais avant de pousser un long soupir. 35 ans maintenant, et ma mère me traitait toujours comme un gros bébé qui avait besoin d’être monitoré, surveillé, contrôlé en continu.

C’était ma faute et je le savais, sans doute avais-je mérité sa présence omnisciente sur ma vie, mais j’aurais aimé qu’une fois, rien qu’une seule, elle me fasse confiance.

Dix années plus tôt, j’étais tombé très bas. Bien plus que je n’oserais le dire. C’est un pan de ma vie que je préfère toujours passer sous silence quand je le peux, refoulé dans un tiroir fermé à double-clefs au fin fond de mon esprit.

La descente aux enfers a duré cinq ans durant lesquels je ne me reconnaissais plus. J’étais vivant, mais mon quotidien était une expérience extra-corporelle où je me regardais faire les pires choix sans pour autant être capable de m’en empêcher.

Je n’ose même pas imaginer ce que ça a été pour elle, de voir son fils se détruire à petit feu sans rien pouvoir y faire, d’être aussi débordante d’amour pour un être qui se détestait autant.

Je ne saurais même pas dire ce qui a été le déclic. Mes souvenirs de cette période sont flous. Mon cerveau n’est revenu en ligne qu’après de longues semaines, et j’étais déjà alors alité dans le confort de ma chambre d’enfant sous une couette en duvet d’oie, un thé fumant sur la tablette à côté de moi, et ma mère à mon chevet, me tenant la main.

Nous n’en avons jamais parlé. Ni de l’état dans lequel elle m’avait trouvé, ni de tout ce qu’elle avait fait pour moi pendant tout ce temps, me baignant, me donnant la becquée comme si j’étais à nouveau un tout petit, son bambin adoré. Je pense qu’à la fin de ma vie, je douterai de nombreuses choses, mais jamais de l’amour de ma mère. Si je ne dois retenir que cela de mon passage sur cette terre, c’est cet enseignement si précieux : l’amour inconditionnel que cette femme m’aura porté aura sauvé ma vie à bien des égards.

C’est important de m’en rappeler au moment où je suis particulièrement agacé de son maternage. Je vais mieux désormais, on peut même dire que ma vie est parfaitement en ordre depuis au moins deux ans. J’ai un emploi stable, un cercle d’amis régulier, je suis végétarien, je pratique le yoga et la course à pied. Je suis sous traitement, probablement à vie, et capable d’accepter que ce n’est pas une entrave mais une béquille sur laquelle m’appuyer pour continuer à avancer.

Et j’ai un fiancé. Il est mon soleil et ma lune, il est mon âme sœur, il est tout ce que j’ai toujours espéré mais n’ai jamais cru que je pourrais avoir. Il m’aime pour qui je suis maintenant, et il sait tout de mon passé. Il ne me juge pas, il me prend avec mes qualités et mes défauts, avec mes forces et mes faiblesses. J’ai eu très peur, au départ, de la puissance de mes sentiments pour lui et là encore, ma mère m’a rassuré. « L’amour appelle l’amour », m’a-t-elle dit. « Laisse-le entrer ». Je me demande parfois d’où elle tient toute sa sagesse.

Ils s’adorent, tous les deux. Je crois qu’il est encore plus proche d’elle que moi, et ils s’appellent toutes les semaines pour « débriefer », comme ils disent. Ils se font des journées au spa, des marathons de série, s’échangent des recettes et des bouquins. Je pourrais être jaloux, mais je suis heureux. Heureux de les avoir tous deux dans ma vie, heureux d’être la personne qui les a rapprochés, heureux aussi d’être le récipient de leur amour. Heureux et chanceux.

Je suis la somme de tout ce que m’a enseigné ma mère : savoir accepter les bénédictions, recevoir l’amour, et le donner. Même s’il a fallu que je m’égare pour la retrouver, pour me retrouver, pour nous retrouver.

Je porte une main nerveuse à mon noeud-papillon. J’espère qu’il est parfaitement noué. Je ne sais pas vraiment pourquoi j’ai demandé à être seul. Sans doute voulais-je me prouver que je pouvais le faire, que j’étais suffisamment fort désormais. Peut-être est-ce ma dernière épreuve du feu avant le bonheur.

Je repense à sa voix qui tremblotait un peu en me disant « Ne sois pas en retard », et je réalise soudain toute l’émotion qu’elle tentait de me dissimuler, toujours la mère protectrice, toujours à veiller sur moi. Réconforté par cette pensée, je souris et prends une profonde inspiration. Je peux le faire, ils m’attendent de l’autre côté.

L’alarme à mon poignet sonne, et j’appuie sur le petit bouton pour l’arrêter. Je pense « regarde, Maman, je ne suis pas en retard ». Je pousse la porte et progresse à pas rapides dans le couloir. Encore une porte et je les retrouverai.

Je glisserai la main de ma mère au creux de mon coude, et nous remonterons ensemble l’allée. Regarde maman, grâce à toi, aujourd’hui, je me marie. 



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